QUATRE-VINGT-TREIZIÈME LEÇON

La locandiera (l’aubergiste)

1 MIRANDOLINE : Je salue humblement (je m'incline à) Vos Seigneuries (ces chevaliers)! Lequel de ces messieurs me demande?

LE MARQUIS : C’est moi qui vous demande, mais pas ici.

MIR. : Où Votre Excellence me voudrait[-elle] (me veux)?

MARQ. : Dans ma chambre.

2 MIR. : Dans votre chambre? Si vous avez besoin de quelque chose, c'est le valet de chambre qui viendra vous servir.

MARQ., au chevalier : Que dites-vous de cette réserve?

LE CHEVALIER, au Marquis : Ce que vous nommez réserve, moi, je le nommerais plutôt effronterie et impertinence.

3 LE COMTE : Chère Mirandoline, moi, je vous parlerai en public, je ne vous donnerai pas le dérangement de venir dans ma chambre. Observez ces boucles d’oreilles : vous plaisent-elles?

MIR. : [Elles sont] belles.

LE COMTE : Vous savez, ce sont [des] diamants.

4 MIR. : Oh, je les reconnais. Je m'y connais, moi aussi, en diamants.

LE COMTE : Elles sont à vous (à votre service).

LE CHEVALIER, à mi-voix, au Comte : Cher ami, c’est du gaspillage (vous les jetez)!

5 MIR. : Pourquoi voulez-vous me donner ces boucles d'oreilles?

MARQ. : (Ce serait un) Beau cadeau, vraiment! Elle en a (des) [qui sont) deux fois (au double) plus belles!

LE COMTE : La monture de celles-ci est [plus] à la mode (celles-ci sont liées à la mode). Je vous prie [de] les accepter (les recevoir) pour [l’]amour de moi.

LE CHEV., à part : Quel insensé!

6 MIR. : Non, vraiment, Monsieur...

LE COMTE : Vous me fâcherez (me dégoûtez) si vous ne les prenez pas.

MIR. : Je ne sais que dire... Je tiens à cœur (il m'importe) [de] me garder l'amitié des clients (amis les clients) de mon auberge. Pour ne pas fâcher Monsieur le Comte, je les prendrai.

7 LE CHEV., à part : Oh! La fine mouche (quelle potence)!

LE COMTE, [à mi-voix] au Chevalier : Que dites-vous de cette grâce dans la répartie (de cette présence d'esprit)?

LE CHEV., au comte : Ah, oui, vous pouvez parler de grâce dans la répartie (belle promptitude)! Elle croque vos diamant (elle vous les mange) et ne vous remercie même pas.

8 LE MARQ. : Vraiment, Monsieur le Comte, vous pouvez être fier de vous (vous vous êtes acheté un grand mérite). Faire un cadeau [à] une femme en public, par vanité! Mirandoline, je dois (j’ai à) vous parler entre (à) quat’-z-yeux : je suis un gentilhomme (Chevalier), [moi]!

MIR., à part : Quelle sécheresse! Ce n'est pas de sa part que je risque de recevoir des cadeaux (Ils ne lui en tombent pas)! (A tous :) Puisque (Si) [Vos Seigneuries] ne me commandent [rien d'] autre, je m'en irai.

9 — LE CHEV. : Hé, patronne! Le linge que vous m'avez donné ne me plaît pas. (Avec mépris :) Si vous n’en avez pas de meilleur (mieux), je m’en achèterai (je me pourvoirai).

MIR. : Monsieur, vous en aurez (il y en aura) du meilleur (de mieux). Vous serez servi, mais il me semble que vous pourriez réclamer (le demander) avec un peu de gentillesse.

10 — LE CHEV. : Là où je dépense mon argent, je n’ai pas besoin de faire des cérémonies (des compliments).

LE COMTE, à Mirandoline : Ayez de l'indulgence pour lui : c'est [l']ennemi juré (capital) des femmes!

11 — MIR., seule : Eh bien, qu'est-ce qu’il a dit (jamais)! L'excellentissime M. le Marquis Sécheresse serait prêt à m'épouser (m'épouserait)? Cependant, s’il voulait [vraiment] m’épouser, il y aurait une petite difficulté : moi, je ne voudrais pas [de] lui. J’aime le rôti, et je ne sais pas que faire de [son] fumet.

12 — Si j’avais épousé tous ceux qui me l’ont demandé (ont dit me vouloir), oh, j’[en] aurais bien, des maris! Autant il en vient (viennent) ici, autant (tous) [qui] s’éprennent de moi, (tous) [qui] me font la cour, et encore plus (tant et tant) [qui] m’offrent même de m’épouser.

13 — Et ce (Monsieur) Chevalier, aussi rustre qu’un ours, me traiterait (me traite) avec un tel dédain (si brusquement)? C’est [bien] le premier voyageur étranger descendu à mon auberge qui n'ait pas pris (eu) plaisir à commercer (traiter) avec moi.

14 — Je ne dis pas que tous [les hommes] doivent (aient) [tout] d’un coup (d’un saut) (à) s’amouracher [de moi], mais être méprisée (me mépriser) ainsi, cela (c’est une chose qui) me remue terriblement la bile.

15 — Il est [l’]ennemi des femmes? Il ne peut pas les voir? Pauvre fou! [Sans doute] n’a-t-il pas (il n'aura pas) encore rencontré (trouvé) celle qui saura [y] faire. Mais il la rencontrera. Il la rencontrera.

16 — Et qui sait s’ (qu') il ne l’a (ait) pas déjà rencontrée? C’est précisément avec les hommes comme lui (ceux-ci) que je me pique au jeu (je m’y mets de pique). Ceux qui me courent après (derrière) m’ennuient très vite.

17 — La noblesse, je n’en ai cure (ne fait pas pour moi). [Quant à] la richesse, je l’estime mais sans plus (et je ne l’estime pas). Tout mon plaisir, c’est d’être (consiste en me voir) servie, désirée, adorée. C’est là (celle-ci est) mon faible (ma faiblesse), et c’est celui de presque toutes les femmes.

18 — (À) Me marier, je n’y pense même pas ; je n’ai besoin de personne ; je vis honnêtement et je jouis [de] ma liberté.

19 — Je badine (je traite) avec tous, mais je ne m'éprends jamais de personne. Je veux me moquer de toutes ces (tant de) caricatures d’amoureux transis ; et je veux faire usage (user) [de] tout [mon] art pour vaincre, abattre et briser les cœurs barbares et durs qui sont [les] ennemis des femmes,

20 — nous qui sommes la meilleure chose que la belle Mère Nature ait produite au monde.

(Tiré de : C. Goldoni, “La Locandiera”, acte I, scènes 5 et 9).


EXERCICES : 1. “LE CHEVALIER : Elle m'a vaincu avec une telle urbanité, que je me sens presque obligé de l'aimer. Mais c'est une femme : je ne veux pas lui faire confiance. Je veux m'en aller. - 2. Et pourtant, c’est vrai que je sens, en partant d'ici, une sorte de souffrance que je n’avais jamais éprouvée auparavant. Il est d'autant plus nécessaire que je parte au plus vite. - 3. Oui, femmes, je parlerai de plus en plus mal de vous ; oui, vous nous faites du mal, même quand vous voulez nous faire du bien. - 4. MIRANDOLINA : L'entreprise est accomplie. Son cœur est en feu, en flammes, en cendres. - 5. Pour que ma victoire soit totale, il ne me reste plus qu'à rendre public mon triomphe, pour la honte des hommes présomptueux et pour l'honneur de notre sexe”.

(tiré de : C. Goldoni, "La locandiera”, Acte 2, Scènes 14 et 19).

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Seconda ondata : quarantaquattresima lezione