020 Livre
Louis Bertrand
Gaspard de la nuit
Livre V — Espagne et Italie
V

L’ALERTE

Ne se séparant jamais plus de sa carabine que Dona Inès de la bague du bien-aimé !
   Chanson espagnole.


La Posada [1], un paon sur son toit, allumait ses vitres à l’incendie lointain du soleil couchant, et le sentier serpentait lumineux dans la montagne.

*

« Chut ! n’avez-vous rien entendu, vous autres ? demanda un des guérillas, collant son oreille à la fente du volet.

— Ma mule, répondit un arriéro, a fait un pet dans l’écurie.

— Gavache ! s’écria le brigand, est-ce pour un pet de ta mule que j’arme cette carabine ? Alerte ! alerte ! Une trompette ! voici les dragons jaunes. »

Et soudain, au chocs des pots, aux grincements de la guitare, au rire des servantes, au brouhaha de la foule, succéda un silence à travers lequel eût bourdonné le vol d’une mouche.

Mais ce n’était que la corne d’un vacher. Les arriéros, avant de brider leurs mules pour gagner le large, achevèrent leur outre à moitié bue ; et les bandits, qu’agaçaient en vain les grasses maritornes de la noire hôtellerie, grimpèrent aux soupentes, en bâillant d’ennui, de fatigue et de sommeil.

1) Petite hôtellerie espagnole.
 
Louis Bertrand
Gaspard de la nuit