020 Livre Louis Bertrand Gaspard de la nuit |
Premier livre — École Flamande |
IV LA BARBE POINTUE Si l’on n’a la tête levée, Le poil de la barbe frisé Et la moustache relevée, On est des dames méprisé. Les poésies de d’Assoucy. Or, c’était fête à la synagogue, ténébreusement étoilée de lampes d’argent, et les rabbins, en robes et en lunettes, baisaient leurs talmuds, marmottant, nasillonnant, crachant ou se mouchant, les uns assis, les autres non. Et voilà que tout à coup, parmi tant de barbes rondes, ovales, carrées, qui floconnaient, qui frisaient, qui exhalaient ambre et benjoin, fut remarquée une barbe taillée en pointe. Un docteur nommé Élébotham, coiffé d’une meule de flanelle qui étincelait de pierreries, se leva et dit : « Profanation ! il y a ici une barbe pointue ! — Une barbe luthérienne ! — Un manteau court ! — Tuez le Philistin. » — Et la foule trépignait de colère dans les bancs tumultueux, tandis que le sacrificateur braillait : — « Samson, à moi ta mâchoire d’âne ! » Mais le chevalier Melchior avait développé un parchemin authentiqué des armes de l’empire : « Ordre, lut-il, d’arrêter le boucher Isaac van Heck, pour être l’assassin pendu, lui, pourceau d’Israël, entre deux pourceaux de Flandre. » Trente hallebardiers se détachèrent à pas lourds et cliquetants de l’ombre du corridor. — « Feu de vos hallebardes », leur ricana le boucher Isaac. — Et il se précipita d’une fenêtre dans le Rhin. |
Louis Bertrand Gaspard de la nuit |