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016 Livre
Des contes et légendes
199 Visage de Rose

Visage de Rose - Légende Égyptienne

Depuis que le monde existe, et qu'il y a des enfants à bercer et à distraire, les mamans et les nourrices racontent de belles histoires. Ces histoires simples et gracieuses, crées par l'imagination populaire et transmises de bouche en bouche, se retrouvent souvent les mêmes dans les pays les plus éloignés les uns des autres. Elles ne se distinguent entre elles que par des différences de détails, qui proviennent de la diversité des mœurs et des coutumes. Aujourd'hui je vous donne l'histoire de Cendrillon telle qu'on la racontait il y a quatre mille ans aux enfants d'Égypte.

En ce temps-là vivait à Naucratis, tout au nord de l’Égypte, une fillette charmante on appelait Rhodopis ou Rhodia, c’est-à-dire Visage-de-Rose.
Elle était très jolie, et également instruite dans l’art de la danse, qui était fort cultivé alors, et dans celui de la musique qui n’était pas moins apprécié. Elle savait un peu d’histoire, dessinait au pinceau des figures habiles sur des bandes de papyrus, et portait toujours dans sa tunique des petites tablettes enduites de cire, où elle gravait à l’aide d’un fin stylet d’argent des pensées naïves et brèves.
Mais si Rhodope avait des qualités sans nombre, un grand charme et le plus doux sourire, elle avait cependant un défaut : le plus gracieux défaut, il est vrai, mais enfin… elle était coquette.
Or, sa coquetterie était très particulière, car elle se manifestait par un choix continuel de sandales neuves : la fillette avait l’orgueil de ses deux petits pieds.
Il faut dire que jamais, il est vrai, on ne vit sur terre deux plus mignons et gentils pieds que ceux de Rhodopis.
« Rhodia, disait un jour son amie Peitho, a pour marcher deux lotus blancs qui ont des ailes. »
La jeune fille était fière de cette beauté originale et rare, et elle regardait souvent ses pieds agiles avec un peu trop de complaisance.
Mais c’était aussi la seule faiblesse qu’on pût lui reprocher : il faut avouer qu’elle était bien inoffensive.
Encore Rhodope ne rêvait-elle de chaussures nouvelles qu’à cause des louanges dont, sans cesse, elle était l’objet. Il ne manquait pas de personnes pour flatter sa manie : les marchands étrangers, par exemple, venus de Perse ou de Syrie, qui lui vendaient cher des souliers de tous les pays bottines de cuir rouge ou babouches brodées, puis des lanières de peau et des rubans écarlates pour nouer les semelles, et qu’on enroulait autour des jambes.
Un jour, vers la fin d’une après-midi très chaude, Visage-de-Rose, couchée parmi des coussins, sur la terrasse de sa maison, regardait au loin des navires entrer dans le port et les bateaux légers, qu’on nommait canges, descendre ou remonter le Nil. A force de regarder toujours, les yeux se fatiguent : les paupières de Rhodope s’abaissèrent et bientôt elle s’endormit.
Un de ses souliers avait glissé et brillait sur le tapis comme un petit soleil. On lui avait apporté la paire quelques heures auparavant ; c’étaient deux mules de cuir et d’or, où s’incrustaient des pierreries.
Rhodope reposait depuis quelque temps déjà, et son sommeil était si profond qu’elle ne sentit pas une ombre descendre sur sa tête, toujours davantage. Cela avait été d’abord un tout petit point dans le ciel, puis une tache noire, et, enfin, si la fillette s’était éveillée, elle aurait pu reconnaître un aigle, un aigle superbe qui frappait l’air de ses larges ailes.
Tout à coup, comme attiré par quelque objet éclatant, il vint s’abattre au milieu de la terrasse… Bientôt, il reparut dans le ciel clair, tenant dans son bec la petite pantoufle de Rhodope, et il s’envola avec elle, bien loin, bien loin dans la direction du fleuve…
Visage-de-Rose dormait toujours.
Le roi Amasis, qui régnait sur l’Égypte, se tenait alors, avec toute sa suite au bord d’un lac, sur une colline de Memphis.
Ce jour-là, il rendait la justice dans une des cours de son palais. Il était assis sur un trône de granit, le front ceint de la vipère sacrée, semblable en son immobilité attentive à quelque dieu de bronze.
Deux hommes venaient d’être amenés devant lui, et il abaissait vers l’un d’eux son sceptre d’or couver d’hiéroglyphes, lorsqu’il lui parut qu’un mouvement de curiosité animait la foule, d’ordinaire muette et respectueuse.
Les têtes renversées regardaient le ciel.
A ce moment, il sentit une ombre planer au-dessus de lui, et tout à coup un mystérieux petit objet franchit les airs et roula sur ses genoux, entre les plis de son manteau, tandis qu’un grand oiseau s’éloignait dans l’espace, en continuant sa route vers le sud.
Le Pharaon fut bien surpris. Ses mains royales tournaient et retournaient avec précaution le présent si étrangement venu. C’était un ravissant petit soulier, si menu que le roi Amasis s’en émerveilla, et que les assistants, qui s’étaient bruyamment pressés autour du trône, s’émerveillèrent avec lui.
L’étrangeté de l’aventure émut le roi tout puissant. Il voulut savoir à quelle femme de ses États une si minuscule chaussure appartenait. Des messagers partirent dans toutes les directions…
Visage-de-Rose, à son réveil, avait été bien fâchée de ne plus retrouver sa pantoufle d’or aux pierres de couleur.
Elle l’avait cherchée partout, ne pouvant concevoir qu’elle eût disparu pendant son sommeil d’une si singulière façon.
Ses esclaves, accourues, l’aidèrent de leur mieux, car elles aimaient leur jeune maîtresse qui était bonne et généreuse.
On eut beau tout remuer, on ne retrouva pas la jolie pantoufle. Rhodope avait trop d’esprit pour se lamenter en vain ; elle reprit ses pinceaux, sa harpe et ses tablettes ; mais, tout en cherchant à se distraire, elle regretta beaucoup sa mule si mignonne.
Aussi, lorsqu’elle vit, un matin, entrer deux messagers étrangers, et qu’entre les mains de l’un d’eux, elle reconnut la chaussure perdue, elle poussa un cri de plaisir, et se mit à sauter dans la chambre pour exprimer sa joie.
Le messager, s’agenouillant, passa l’étui d’or constellé au petit pied qu’il moula parfaitement. Rhodope, aussitôt, mit la pantoufle jumelle qu’elle avait précieusement gardée dans un coffret de santal. Et les envoyés du roi, prosternés, crièrent par trois fois :
« Gloire à toi, au nom du Seigneur Pharaon ! »
Puis, entraînant la jeune fille stupéfait, ils la mirent sur leur chat qui les emporta vers Memphis, au galop des chevaux.
Lorsque Visage-de-Rose parut devant le Pharaon, tous les yeux se fixèrent sur elle, et le Roi admira qu’elle fût si petite.
Elle, devant lui, attendait immobile.
Si près du maître de l’Égypte, dont le nom seul faisait courber les têtes, Rhodope ne témoignait aucune crainte.
Elle n’avait pas fait le mal. De quoi aurait-elle eu peur ? Elle était seulement très contente de voir ainsi, de près, le Pharaon. Son sourire était toujours aussi doux, mais ses yeux plus brillants se fixaient sur le roi avec une curiosité joyeuse. Alors le roi Amasis, devant ce calme heureux, s’attendrit. Il voyait pour la première fois un être humain qui ne tremblait pas devant lui. Et qui était-ce ? Une toute jeune fille, toute simple et menue, qui se tenait là, devant lui, tranquillement, et qui lui souriait.
Le Pharaon réfléchissait. Il songeait qu’une si jolie personne, avec un cœur si brave, était vraiment digne d’un royal pouvoir, et il résolut de l’épouser. Toujours silencieux, il se leva. Il descendit les marches du trône. Il s’approcha de Rhodope et la regarda. Puis la prenant par la main, il remonta les marches avec elle, et la fit asseoir à sa place.
Les noces, peu de temps après furent célébrées avec magnificence.
Et toute l’Égypte acclama la jeune reine qu’un aigle lui avait donnée.

Jean HELLE
 
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