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016 Livre
Des contes et légendes
132 Une brouille

Une brouille

Depuis quelque temps déjà, les familles Levraut et Pigeonnet, jadis très unies, n'avaient plus de relations. Tout cela pour une réflexion faite sans méchanceté par Mme Levraut devant Mme Pigeonnet, et que celle-ci avait mal prise. Un mot d'explication immédiate eût tout arrangé. Mais Mme Pigeonnet avait mieux aimé s'en aller, en faisant claquer les portes.
Et depuis, la brouille durait.
Cependant, si quelqu'un se fût chargé de réconcilier les deux familles, rien n'eût été plus facile, car tous regrettaient leur intimité perdue, mais personne n'osait s'aventurer à jouer le rôle d'intermédiaire, et les choses en restaient là.
Les Levraut avaient deux enfants, Amélie et Jean, respectivement âgés de neuf et sept ans. Le ménage Pigeonnet avait aussi une petite fille, Juliette, à peu près du même âge qu'Amélie, et un petit garçon, M. Bob, bien plus jeune que Jean, puisqu'il n'avait que trois ans et demi.
Bien entendu, dès le premier jour de la brouille, Mme Levraut avait défendu à Jean et Amélie de jouer avec Juliette et avec Bob ; de même que Mme Pigeonnet avait interdit à ses enfants de fréquenter ceux de Mme Levraut.
Mais ni l'une ni l'autre n'ayant réitéré cet ordre, les enfants avaient continué à se voir, en cachette, et c'est ainsi que le jour où commence cette histoire, et qui était un beau dimanche de septembre, une grande partie de plaisir avait été convenue entre eux.
Il s'agissait d'aller jouer dans un immense jardin où les maçons étaient entrain de construire une villa. La porte - Jean qui avait fait cette découverte - n'en était jamais fermée, sans doute pour faciliter les allées et venues des ouvriers, et on pouvait y entrer comme chez soi.
Donc, après le déjeuner, Amélie et Jean partirent d'un côté, Juliette et Bob ne tardèrent pas à les imiter, mais en prenant, on le comprend, un chemin différent, et bientôt tous se trouvèrent réunis dans ce jardin dont la porte, effectivement, était restée ouverte.
Pour comble de bonheur, les maçons avaient cessé leur travail ; nos amis étaient seuls !
D'abord ce fut une galopade folle à travers les allée ; puis on organisa une partie de cache-cache ; on joua ensuite à la diligence et aux voyageurs, aux voleurs et aux gendarmes, enfin à toutes sortes de jeux qui nécessitent un grand espace de terrain et des recoins pour se dissimuler.
Mais à courir ainsi, Bob, qui avait de petites jambes, fut bientôt fatigué et demanda à s'asseoir. D'ailleurs, il n'attendit pas qu'on lui en donnât la permission, et il se laissa aller sur le sol.
Justement les enfants se trouvaient, à cet instant, auprès de la villa en construction.
"Tiens, s'écria Jean, les ouvriers ont laissé là tous leurs outils ; si nous jouions aux maçons ?
- Moi, répondit Juliette, je suis comme Bob, j'aime mieux me reposer.
- Eh bien, nous nous amuserons avec Amélie," répliqua Jean un peu vexé.
Le ton avec lequel il avait prononcé ces paroles ne fut pas non plus du goût de Juliette, et c'est en boudant qu'elle alla s'étendre sur l'herbe un peu à l'écart.
Pendant ce temps, Jean et Amélie s'étaient mis à l'ouvrage. Ils faisaient, vous le pensez bien, du beau travail. Jean, qui avait trouvé du mortier tout préparé dans un baquet, en remplissait consciencieusement, à l'aide d'une truelle, le tablier d'Amélie que celle-ci tenait relevé. Puis la fillette allait déverser le tout dans un grand pot de fleur, vide, qui servait ainsi de moule pour confectionner une magnifique forteresse en ciment !
Ce manège intéressait prodigieusement le jeune Bob. Quant à Juliette, elle boudait toujours.
Soudain une mauvaise idée lui passa par la tête. Elle se leva doucement, s'approcha de Jean à pas de loup, et au moment où celui-ci était fort occupé à mettre une grande truellée de mortier dans le tablier de sa sœur, elle le poussa rudement par les épaules.
Surpris par la soudaineté de cette attaque, Jean piqua une tête en avant, et sa truelle entra dans le tablier d'Amélie où son passage causa, hélas ! des ravages irréparables.
Voyant son tablier déchiré, Amélie se mit à pleurer. Jean se releva ; furieux, et, oubliant toute mesure, il prit Juliette aux cheveux, la renversa presque à terre, et s'apprêtait à la frapper de sa truelle, lorsque que Bob intervint.
Péniblement, il s'était levé sur ses petites jambes, et il défendait sa sœur du mieux qu'il pouvait, en tirant en arrière de toutes ses forces sur la blouse de Jean.
Tout à coup on entendit un petit bruit sec ; c'était la blouse de Jean qui se déchirait. Bob, privé subitement de son point d'appui, perdit pied et tomba à la renverse dans le baquet de mortier, en poussant des cris d'effroi !
Juliette, Amélie et Jean oubliant aussitôt leur querelle, s'élancèrent au secours du malheureux bébé.
Pauvre Bob ! Ses vêtements étaient déjà tout mouillés par le mortier humide. Il fallut de déshabiller. Mais ne pouvait le laisser ainsi, et nos héros, la mine basse, songèrent à rentrer.
Mais comme leur triste cortège arrivait à la sortie du jardin, une surprise désagréable les attendait : la porte avait été fermée. Par qui ? Sans doute par un passant qui, sachant le jardin abandonné, s'était étonné de la voir ouverte. Quoi qu'il en fût, il n'y avait plus moyen de sortir !
Une ressource restait aux prisonniers, c'était d'appeler à l'aide. Juliette s'y décida après avoir grimpé sur des pots à fleurs pour arriver à la hauteur du mur qui clôturait le jardin de toutes parts.
"Mais où êtes-vous donc ? s'écria soudain une voix bien connue des enfants, celle de Mme Pigeonnet , je vous cherche depuis une heure.
- Nous sommes ici, maman, répondit humblement Juliette.
- Qui nous ? répliqua Mme Pigeonnet, flairant quelque aventure.
- Bob... Amélie et Jean !..."
Sans en demander davantage pour l'instant, Mme Pigeonnet courut au plus pressé, qui était de délivrer les enfants.
"Dans quel état vous êtes-vous mis ! s'exclama-t-elle en les voyant ! Et Bob qui est à moitié nu ! Allons, rentrons vivement à la maison... Quant à vous, Jean et Amélie, vous pouvez venir avec nous, nous vous laisserons chez vous en passant..."
La petite troupe, la tête basse, emboîta aussitôt le pas à Mme Pigeonnet.
Soudain, au détour d'une rue, Mme Pigeonnet et les enfants se trouvèrent nez nez avec Mme Levraut... Il y eut un petit moment de gêne, mais Mme Pigeonnet se remit la première.
- Vous voyez, madame, fit-elle en souriant, avec, cependant, une légère contrainte, je vous ramène votre petite famille...
- Vous êtes bien aimable, répondit Mme Levraut en lui rendant son sourire... Mais dans quel état sont nos num_risation_janvier11_004garnements ! Et Bob... ce petit ne peut aller dans cet état jusque chez vous ; nous voici presque à la maison ; me ferez-vous le plaisir d'entrer pour faire sécher ses petites affaires ?...
- Je craindrais de vous importuner, répondit Mme Pigeonnet en résistant mollement...
- Vous savez bien cependant que ma maison vous a toujours été ouverte, répliqua gentiment Mme Levraut.
- Nous vous avons attendue bien longtemps, repartit Mme Pigeonnet non moins aimablement.
- Dieu ! que nous avons été sottes !" dirent-elles ensemble, en s'étreignant les mains.
Ce fut là, la fin de la brouille des Levraut et des Pigeonnet. Ce dénouement coûta un léger rhume à M. Bob (mais un rhume si bien soigné, avec de bonnes tisanes si bien sucrées que Bob se trouva trop tôt guéri), et une mise au pain sec à Jean, à Amélie et à Juliette, pour avoir désobéi en jouant ensemble... et surtout pour avoir pataugé dans le mortier et déchiré leurs habits.
 
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