016 Livre Des contes et légendes |
043 Pierre le Crédule Conte |
Pierre le Crédule Pierre s'ennuyait : il rêvait d'être riche et la fortune ne venait pas à lui. - J'irai à elle, se dit-il, et le voilà parti. Tout de suite il eut la chance d'entrer chez un bon maître qui le garda sept ans. Pierre rassembla alors ses économies et témoigna le désir d'aller revoir sa mère et son pays. - Cela prouve ton bon cœur, lui dit son maître, je veux bien t'en récompenser, prends ce lingot d'or. Le lingot était aussi gros que la tête de Pierre... Le soleil était brûlant : Pierre fut bientôt las. Il vit passer un beau cavalier bien campé en selle sur sa jument. Où vas-tu de la sorte, l'homme au lingot ? cria le cavalier. - Je suis fatigué à mourir, gémit Pierre. Ce poids m'écrase. Ah ! vous êtes bien heureux. - Il ne tient qu'à toi d'en faire autant, dit l'autre. Donne-moi ton lingot et prend mon cheval. - Soit, dit Pierre. L'homme mit pied à terre. Pierre sauta en selle. Mais au premier détour du sentier, la bête sentant qui elle avait sur le dos, se cabre, jette son malhabile conducteur dans le fossé. Heureusement un paysan passait par là, menant sa vache en laisse au marché. Il arrête la jument et veut aider ce piteux cavalier à se remettre à califourchon. - Ah ! dit Pierre, si ma jument était douce comme votre vache ! - Eh ! repartit le paysan, aimerais-tu mieux ma vache que ta monture ? - Sans doute, dit Pierre. - Eh bien ! mon fils, prends-la. Tope, voici la longe. Le marché fait, chacun s'en va de son côté, Pierre traînant la vache derrière lui, mais au bout d'une demi-heure, il a soif et se dit : - Je vais traire la bête. Il tend son bonnet de cuir sous le pis et se met en besogne de presser les mamelles. Point de lait. La vache s'impatiente et lui décoche de son pied de derrière un coup furieux au visage. Passe un boucher avec un petit cochon de lait. Il a pitié de Pierre et le ramasse. - Ah ! dit Pierre, vous êtes bien heureux, d'avoir un cochon au lieu d'une vache. - Il ne tient qu'à toi d'être heureux de même, dit le boucher. Faisons un échange. Pierre donne la vache au boucher et s'en va en chantant avec le cochon. Cent pas plus loin il rencontre un grand gaillard qui portait une oie grasse sous le bras. - Quelle belle bête ! s'écria Pierre, tu as de la chance de la posséder. - Eh ! dit l'autre, je n'y tiens pas autant que tu le penses. Donne-moi ton cochon et je te la laisse emporter. Pierre ne se fait pas prier. Il s'enfuit avec l'oie comme un voleur. Il approche enfin de son village et son cœur bat de joie. A ce moment, il voit venir au-devant de lui un gagne-petit : - Tiens ! le frère qui porte la sœur ! s'écria le gamin. Et qui t'a donné cette bête-là ? - Je l'ai eue en échange d'un cochon. - Et le cochon ? - Je l'ai eu pour une vache. - Et la vache ? - Je l'ai eue pour un cheval. - Et le cheval ? - Je l'ai eu pour un lingot d'or. - Et le lingot ? - Je l'ai eu pour avoir travaillé sept ans. - Si tu avais la pierre que voici, dit le gagne-petit, tu n'aurais plus besoin de travailler. - Comment cela ? - C'est une pierre magique. Elle exauce tous les souhaits. On n'a qu'à la lancer en l'air. - Oh ! donne-la moi. - Que me donneras-tu en échange ? - Cette oie. - Affaire faite. Et le gagne-petit de filer, ne laissant aux mains du crédule qu'une vieille pierre à repasser toute usée. Pierre lui, au comble de la joie, lance la pierre en l'air. Il était, en cet instant près d'un puits. La pierre y tombe et voilà Pierre privé de son talisman, sans sou ni maille. Il n'en pleura point, car sa mère, qui l'avait aperçu, s'était élancée vers lui et le serrait contre son cœur. Et il conta à la bonne femme, en coupant son récit de grands éclats de rire, tout le bonheur qu'il avait eu en une même journée. M. GOSSELINE |