016 Livre Des contes et légendes |
032 Nénuphars Conte |
Nénuphars Cela se passait il y a bien longtemps. Tout alors était encore beau et bon sur la terre. On n'y connaissait ni la haine, ni la guerre. Les hommes ne faisaient qu'une grande famille. Ils s'aimaient, ils aimaient les animaux qui vivaient avec eux et ceux-ci aimaient les hommes et ne les craignaient pas. Il n'y avait pas d'hiver avec bourrasques et froid pénétrant, et l'on ne parlait pas encore de foudre ni d'orage. Les arbres et les buissons étaient toujours couverts de fruits magnifiques que l'on pouvait manger sans risque. Le gibier abondait dans les forêts et le maïs dans la plaine. Les fleurs parsemaient les prairies, croissaient sur le flanc des montagnes et au bord des rivières. Elles embaumaient l'air de leur parfum et le chant des oiseaux semblait une musique divine. Les indiens vivaient sur cette terre bénie. Heureux, ils passaient le temps à chasser et s'entraînaient à différents sports. Ils aimaient surtout aller sur les rivières, dans des canots qu'ils construisaient avec soin et patience ; souvent, le soir, les jeunes gens, réunis en groupe, contemplaient le ciel et admiraient les étoiles. Ils pensaient qu'elles étaient les demeures des esprits bons et généreux qui avaient comblé de leurs dons la race rouge. Un soir, ils s'aperçurent qu'une de ces étoiles semblait s'être rapprochée de la terre. Elle brillait d'un éclat magnifique, à peu de distance du sommet du pic dont la pointe se dressait au-delà des montagnes du Sud. Ils crurent remarquer qu'elle se rapprochait un peu plus chaque nuit. Intrigués et curieux, ils attendaient impatiemment la fin du jour pour voir où elle apparaîtrait dans le ciel. Le fait est que bientôt on l'aperçut de moins en moins au Sud et de plus en plus près de la terre des Indiens. Elle finit par se poser au-dessus des grands arbres de la forêt voisine. Cette approche de l'étoile avait éveillé la curiosité générale. Des jeunes gens partirent en courant afin de la voir de plus près. A leur retour, ils assurèrent que sa forme rappelait les ailes d'un oiseau. Les sages de la tribu, interrogés à ce sujet, ne surent que répondre. Peut-être l'étoile était-elle le présage des malheurs qu'on avait autrefois prédits ; mais un astre si beau pouvait-il présager un malheur ? Plusieurs lunes passèrent ainsi. L'étoile au-dessus de la forêt projetait un éclat de plus en plus brillant, comme s'il en émanait un désir de plus en plus ardent d'attirer l'attention des hommes. Or, une nuit, un des jeunes Indiens fit un rêve : il vit auprès de lui une jeune fille d'une beauté sans égale. Elle était vêtue de blanc. Tout autour d'elle, resplendissait de clarté. - Jeune brave, dit-elle, je trouve si belle la terre de tes ancêtres, avec ses fleurs et ses oiseaux, ses lacs et ses rivières, que j'ai décidé de quitter mes sœurs et de venir habiter parmi vous. Demande aux Sages de la tribu ce que je dois faire pour être des vôtres. Le jeune homme s'éveilla. Il vit l'étoile qui brillait dans le ciel. Sa clarté était la même que celle qu'il avait vue s'irradiant de la belle visiteuse. Le lendemain, il raconta aux Sages le rêve qu'il avait fait. Tous comprirent que l'étoile voulait vivre parmi eux. Cinq jeunes Indiens furent donc choisis parmi les plus beaux et les plus braves. Ils devaient aller à la rencontre de l'étoile. Ils partirent par les chemins du Sud. Lorsqu'elle commença à descendre vers eux, ils lui souhaitèrent la bienvenue et lui présentèrent le calumet où brûlaient des herbes odorantes choisies pour elle. L'étoile prit le calumet puis, étendant ses grandes ailes blanches, elle suivit ses amis jusqu'au village. Toute la nuit, et les nuits suivantes on la vit au-dessus de wigwams et des tentes, où elle restait jusqu'à l'aube. Sous les traits de la belle visiteuse précédemment vue en rêve, elle apparut de nouveau au jeune Indien endormi. - Mon désir le plus ardent, lui dit-elle, est de vivre toujours parmi nous, près de vous, d'être aimée de vous tous, de faire réellement partie de votre existence. Demande aux Sages quelle forme je dois prendre et où je peux me poser. Les sages tinrent de nouveau conseil. Où pouvait se poser l'étoile ? Au sommet d'un arbre ? au creux d'un rocher ? dans le cœur d'une fleur ? Indécis, ne sachant quel conseil donner à leur amie, ils lui répondirent que partout elle serait la bienvenue. C'était à elle de choisir l'endroit où elle se sentirait vraiment heureuse. L'étoile choisit d'abord le cœur de la rose blanche des montagnes ; mais elle se trouvait ainsi loin des hommes, isolée et cachée à leurs yeux. Ce n'était pas ce qu'elle désirait. Elle devint fleur de la prairie, mais comprit vite son imprudence : les chevaux, qui ne la voyaient pas, la meurtrissaient ou l'écrasaient dans leur course. Elle se réfugia sur le rocher mais, trop haut perchée, les enfants ne pouvaient la voir ni l'atteindre. C'est alors qu'elle eut l'idée de vivre sur la rivière, dans les étangs et sur les lacs. Elle verrait les petits jouant au bord de l'eau, les jeunes hommes vigoureux conduisant leurs canots. Elle serait avec eux, jeunes et adultes, lorsqu'ils s'ébattraient, en riant de plaisir, dans la fraîcheur de l'onde et elle sourirait aux vieux restés sur le rivage. "Oui, c'est vraiment là que je serai heureuse", pensa l'étoile. Et le lendemain, à l'aube, on vit des centaines de nénuphars d'une blancheur immaculée, qui parsemaient les cours d'eau et les lacs. Les Indiens reconnurent immédiatement leur amie et se réjouirent à la pensée de l'avoir toujours parmi eux sous la forme des nénuphars. |