016 Livre Des contes et légendes |
102 Mirage |
MIRAGE L'onde coule joyeuse dans le fleuve joli, aux tons verts et bleutés qui s'argentent... Et les saules pleureurs trempent avec délices leurs branches ondoyantes, dans le fleuve joli. L'air pur est imprégné du doux parfums de de fleurs, et les buissons frissonnent sous le zéphyr léger. Coule, coule, onde pure, coule gaiement, emporte dans ton cours chaque instant de nos jours, chaque soupir, chaque pensée, toutes nos joies, nos douleurs, nos souvenirs heureux et néfastes, cours, va toujours enserrant en ton sein dépouilles humaines et poissons brillants. ... Et le fleuve argenté, fidèle image de la vie, court, pressé, bouillonnant, vers un but toujours le même, le but où tend tout ce qui existe : la fin. Témoignant leurs regrets à l'onde bleue qui passe, les vieux saules lentement, de leurs branches qui traînent, saluent en murmurant d'éternels adieux... ... Linette était assise au bord de cette rive, où le printemps mettait tant d'amour et de fleurs. Doucement bercée par les chants de cette nature embellie célébrant à cœur-joie le retour de la belle saison, elle se laissait envahir par l'ivresse qui régnait en ces lieux. -Alors un regret lui vint. "Oh ! pourquoi suis-je seule au monde, disait-elle, pourquoi sans parents, sans amis, suis-je condamnée à vivre ? Pauvrette, il me faudra mourir un jour, sans avoir pu confier à personne toutes les sensations tendres et cruelles que je ressens, sans avoir pu reporter sur quelqu'un ce besoin d'affection dont toute âme jeune est remplie ! Oh ! pourquoi ?" Et son pied d'albâtre, veiné de bleu, aux ongles roses, trempait dans l'eau limpide, lui apportant de son contact avec le clair liquide une exquise sensation de fraîcheur. Les nénuphars aux larges coupes émaillaient l'eau de taches crues. Tout à coup, les grands yeux bleus de Linette, clairs comme l'onde où ils se miraient, virent au milieu du fleuve une buée légère se former, montant en spirales transparentes. -Alors Linette crut voir la surface liquide s'agiter, et de l'eau surgit en cet instant une femme, aux longs cheveux verts, aux yeux d'or, vaporeuse, éthérée. -Sa main fine tenait un joli nénuphar à la blanche corolle. La blondine écoutait fascinée par ces yeux étranges, cette voix merveilleuse, au timbre sonore, aux sons argentins. Sous le charme, elle dit : « Oh ! madame, vous qui êtes si belle, oh ! ne me quittez pas ! J’ai besoin d’être aimée et d’être secourue. Quand on est belle ainsi, on doit être très bonne. Oh ! laissez-moi rassasier ma vue de votre étrange beauté, je ne veux rien de plus. En ma vie de pauvresse, je n’ai pu que souffrir, et l’on ne m’aima pas, je n’avais pas d’amis, car je suis seule au monde, hélas ! « Mais on dit que les fées sont aussi généreuses que puissantes, vous devez être fée, car je n’ai jamais rien vu de plus joli. –On dit que vos palais sont remplis de richesses, de joies et de plaisirs. Protégez-moi, j’ai besoin d’aide, je suis si faible et le monde est si grand ! - Enfant, répond l’ondine, ta parole est sincère, elle m’émeut ; viens, je te sauverai, car je sui de ce fleuve maîtresse souveraine, on obéit à mon gré, et j’y commande en reine, viens. Mon palais est fait du plus fin cristal, les perles, les coraux à l’envi s’y entassent, tout est brillant et beau. – Les poissons argentés, aux écailles de nacre, les fleurs inconnues, les roseaux toujours verts, les rochers aux tons roses, les algues aux fleurs bleues, mille et mille trésors, je te les donnerai, viens, - Viens, car dans mon palais, la peine est inconnue, on est toujours heureux et je n’ai jamais vu sur d’autre joue que la tienne, briller cette rosée qui coule de tes yeux. » - Puis étendant la main vers la blonde mignonne, l’ondine aux cheveux verts, l’ondine s’enfonçait, et Linette extasiée, fascinée par l’étrange, Linette aux pieds d’albâtre, aux ongles roses, ses blonds cheveux défaits, Linette la suivait. … Et sur l’onde limpide qui coule, coule joyeuse dans le fleuve joli, sur l’onde où les vieux saules trempent leurs branches molles, des mariniers passant, aperçurent un jour un corps d’enfant, dont les beaux cheveux blonds mettaient des reflets d’or sur l’onde qui s’argente, et l’eau l’enveloppait de son frais manteau !!! … Coule, coule, onde pure, coule gaiement, emporte ton cours chaque instant de nos jours, souvenirs et dépouilles… et vous, saules pleureurs, aux branches chevelues, saluez au passage cette onde verdie, image de la vie, qui file, file toujours, en murmurant sans cesse d’éternels adieux. Marie-Louise OLIVIER |
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