016 Livre Des contes et légendes |
092 Mauvais camarade |
Mauvais camarade Tout le monde était d'accord pour profiter de la gelée et faire une bonne partie de glissade. Seul Saturnin3 n'était pas de l'avis général, ce qui n'avait rien de surprenant, car Saturnin n'était jamais de l'avis de personne. "Alors que veux-tu faire ? lui demanda-t-on ; as-tu une autre idée ? - Non, répondit-il, mais les glissades, je ne trouve pas cela drôle. - Eh bien ! fais ce que tu voudras, mais, nous les glissades nous amusent." Toute la bande d'enfants s'éloigna pour chercher un emplacement favorable. Une petite colline se trouva là fort à propos. Les plus grands se lancèrent du haut en bas, frayant ainsi le chemin aux plus jeunes. On alla chercher un traîneau fait avec quelques planches ; une petite fille s'installa dedans, pas très rassurée d'abord : "Pas si vite ! criait-elle. Oh ! je penche ! je vais tomber ! - Mais non, répondit celui qui la poussait, il n'y a pas de danger !... Ohé ! Hop ! Hop ! là-bas !" Il n'était que temps, le traîneau arrivait à toute vitesse sur un patineur qui avait déjà beaucoup de mal à garder son équilibre. Il se gara rapidement, si rapidement même qu'il tomba sur le dos et fit ainsi une glissade de quelques mètres, à la grande joie des autres. Il n'eut pas le temps de se fâcher de l'hilarité qu'avait provoquée se chute, car, au même moment, deux de ses camarades qui avaient le plus ri en le voyant tomber, tombaient à leur tour. Et les éclats de rire de reprendre de plus belle ! "Et Saturnin qui prétend que ce n'est pas amusant de glisser ! - Ne nous occupons pas de lui, et continuons." Au fait, où était-il donc Saturnin ? Il était entrain de mettre à exécution une de ces méchantes plaisanteries auxquelles son mauvais caractère le poussait toujours. Il avait vivement fait le tour de la colline, et, arrivé au bas, il avait tendu en travers une corde. Puis, caché, il attendait, en tirant sur la corde pour en augmenter la résistance. Cinq minutes plus tard, les patineurs apparurent lancés à toute vitesse. "Oh ! une corde ! s'écria le premier en tête. Arrêtez ! Une corde ! Une corde !" Il essaya de se retenir, mais en vain ! Le deuxième de la file arrivait sur lui, le troisième sur le deuxième, et ainsi de suite jusqu'au septième qui était le dernier. Ce qu'il en résulta, on le devine : le septième tomba sur le sixième qui était tombé sur le cinquième qui était tombé sur le quatrième, et, ainsi de suite, en sens inverse cette fois, jusqu'au premier qui était sous tous les autres. Et de ce monceau de corps enchevêtrés sortaient des exclamation diverses : "J'étouffe ! J'étouffe ! - Oh ! ma jambe qui est prise ! Je ne peux pas me relever. - On me marche sur la main ! - J'ai de la neige plein le nez et les yeux." Seul Saturnin, le mauvais camarade, cause de la catastrophe, ne se plaignait pas. Il assistait à l'effet de sa plaisanterie et se frottait les mains, enchanté, en répétant : "Oh ! que c'est drôle ! que c'est drôle !" Malheureusement pour lui il ne devait pas trouver cela drôle bien longtemps. Les patineurs finirent par se remettre sur pied peu à peu. Personne n'avait de mal, et l'on mit tout de suite Saturnin en accusation. C'est toi qui as tendu cette corde ? lui cria toute la bande. - Oui, dit l'un, il était caché derrière ce tronc d'arbre ; voici la place de ses deux pieds dans la neige. - Il tenait la corde, ajouta un autre, regardez, la voici à ses pieds. - Et c'était pour nous préparer ce tour-là qu'il a refusé de jouer avec nous. - C'est un mauvais camarade ! - Il faut le punir !... Tiens donc !" Et une boule de neige vint s'écraser sur la poitrine de Saturnin. Ce fut le signal d'un bombardement général. Tous se baissent, ramassent de la neige, la pétrissent vivement, et les boules s'ébattent sur le mauvais farceur. Il en reçoit sur la tête, dans le dos, sur le nez, dans l'oreille, partout, partout. "Assez ! assez ! gémissait-il ; je ne le ferai plus ! Lorsque la punition leur parut suffisante, nos patineurs allèrent se réchauffer les mains à un grand braséro plein de charbon bien rouge. Saturnin, absolument gelé, voulut se réchauffer, lui aussi, mais tout le monde s'y opposa avec énergie : "Il n'y a pas de place, lui dit-on, pour les mauvais camarades." Il fut obligé de se réchauffer tout seul, à l'écart, en battant la semelle et en réfléchissant sur les inconvénients qu'il y a toujours à faire de mauvaises farces. |
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