016 Livre Des contes et légendes |
170 Les grands désirs d'une Princesse |
Les grands désirs d'une Princesse Une bonne vieille ramassait du bois dans une forêt, quand elle aperçut, dormant au pied d'un arbre, une petite dame ayant à peine deux pieds et demi de haut, avec un joli petit visage tout blanc et des cheveux noirs tout frisés. "Que faites-vous ici, ma petite dame ? lui demanda la vieille quand elle lui vit ouvrir les yeux. - Je viens de me promener, madame la vieille, répondit la petite dame, et je me repose un peu. - Vous demeurez peut-être loin d'ici ? - Non, tenez, voilà ma maison." Et la petite dame montrait du doigt une grande caisse, couverte de mousse, adossée au pied d'un arbre. La vieille parut fort étonnée et demanda : "Comment se fait-il, ma petite dame, que vous soyez seule au milieu de cette grande forêt, et que vous n'ayez pour maison qu'une méchante caisse ? - Je vais vous raconter mon histoire," répondit la petite dame. Et elle commença ainsi : "Je suis la princesse Nabote, et, avant d'être perdu dans cette grande forêt, je voyageais avec un monsieur qui me montrait dans les villes à cause de ma petitesse. Chacun s'extasiait sur mon joli visage, sur mon petit corps bien proportionné, et j'aurais été heureuse si je n'avais eu pour camarade l'affreux petit nain Mouche, qui, jaloux de l'admiration que j'inspirais, me faisait mille méchancetés et méditait ma perte. Il n'y réussit que trop : un soir que nous traversions cette forêt, il profita de l'obscurité et du sommeil ne notre maître pour me jeter hors de la voiture. Je poussai des cris déchirants, mais le bruit des roues couvrit ma voix. Bientôt épuisée, folle de terreur et de désespoir, je tombai au bord du chemin. Là, je pleurai tant et tant, que je finis par m'endormir. "A mon réveil le soleil filtrait à travers les branches, les oiseaux gazouillaient à qui mieux mieux ; je me rassurai un peu. Comme j'avais grand'-faim, je me mis en quête de nourriture, et je ne tardai pas à trouver des fraises avec lesquelles je fis un excellent déjeuner. "Les jours suivants, je trouvai cette caisse dont j'ai fait ma maison et où je me suis installée du mieux que j'ai pu. Voilà. - De sorte, demanda la vieille, que, dans votre malheur, vous n'êtes point trop malheureuse ? - Non, maintenant je suis enchantée d'être libre, de n'avoir plus à supporter les méchancetés de Mouche, et, si j'avais une petite maison avec tout ce qu'il faut dedans, je serais tout à fait heureuse." La princesse Nabote avait à peine achevé ces mots qu'un grand bruit se fit derrière elle. Effrayée, elle se retourna vivement, et, qu'on juge de sa joie, en voyant à la place de sa caisse vermoulue une toute petite maisonnette rose. Sans plus songer à la vieille, elle s'y précipité et se trouva dans une salle à manger miniature, garnie d'une table, de chaises et d'un buffet rempli de vaisselle. De là elle passa dans le salon coquettement meublé, avec un bahut renfermant toutes sortes de jeux. La chambre à coucher était une vraie merveille, avec son petit lit de gaze rose et son armoire à glace remplie de linge et de vêtements. Après s'être pâmée d'admiration devant chaque objet, la petite princesse songea à la cuisine. Elle y courut et la trouva garnie de casseroles plus brillantes que de l'or, et tous les ustensiles nécessaires, comme pour le ménage d'une grande poupée. Nabote ne pouvait croire à son bonheur ; elle allait d'une pièce à l'autre, ne sachant laquelle admirer le plus ; elle essayait tous ses costumes, ne sachant lequel lui allait le mieux. Bref, le soir, elle était très fatiguée quand elle se coucha dans le joli lit garni de gaze rose ; et elle s'endormit sans seulement demander à qui elle devait tous ces dons merveilleux. Le lendemain ne lui apporta pas moins de satisfaction, puis, peu à peu, la petite princesse s'habitua à avoir toutes ses aises, à être bien habillée, et ne se trouva guère plus heureuse qu'auparavant. Un jour où elle se promenait dans la forêt, elle rencontra la vieille qui ramassait du bois et qui lui dit : "Bonjour, madame Nabote, comment allez-vous ? J'espère que vous êtres tout à fait heureuse maintenant. - Oui, madame la vieille, répondit la Nabote, mais... je m'ennuie un peu. - Ah ! ah ! et que vous faudrait-il pour vous distraire ? - Oh ! pas grand'chose ; si j'avais seulement un petit chien, je serais tout à fait heureuse. - Eh bien, peut-être que la bonne fée qui vous a donné une petite maison vous donnera un petit chien." La vieille avait à peine achevé ces mots qu'un joli petit chien, gros comme un rat, bondit vers Nabote et lui fit mille caresses. Elle fut ravie ; elle lui rendit ses caresses, le nomma Colibri, et l'emmena dans sa petite maison en redisant qu'elle ne s'ennuierait certainement plus avec un si gentil petit camarade. Colibri ne quittait jamais Nabote, couchait la nuit au pied du lit garni de gaze rose, et, le jour, la suivait partout. Un soir, comme elle jouait avec lui devant la maison, la vieille vint à passer et lui dit : "Bonjour, madame Nabote, comment allez-vous ? J'espère que vos êtes tout à fait heureuse, maintenant. - Oui, madame la vieille, répondit-elle ; seulement... - Voyons, que vous manque-t-il encore ? - Oh ! pas grand'chose ; je suis un peu fatiguée de me nourrir des fruits de la forêt et des œufs d'oiseaux, et si j'avais une petite chèvre qui me donnerait du bon lait, je serais tout à fait heureuse. - Eh bien , répondit la vieille, peut-être que la bonne fée qui vous a donné la petite maison, le petit chien, vous donnera une petite chèvre." Et comme la vieille s'éloignait, la petite princesse entendit : mée, mée, mée, et en même temps la plus jolie petite chèvre blanche accourut en cabriolant et vint frôler sa tête contre ses mains. Nabote fut enchantée ; elle nomma sa chèvre Cabriole, et se mit aussitôt à la traire. Puis, en compagnie de Colibri, elle but le bon lait mousseux. Les jours suivants, elle fabriqua d'excellent beurre, de délicieux fromages dont elle se régala ; mais bientôt elle n'apprécia plus ce régal. Un après-midi où elle était allée se promener et revenait un peu lasse, elle rencontra la vieille qui lui dit : "Bonjour, madame Nabote, comment allez-vous ? J'espère que vous êtes tout à fait heureuse maintenant ? - Oui, madame la vieille, répondit Nabote sans conviction. - Je suis sûre qu'il vous manque encore quelque chose. - Oh ! pas grand'chose ! mais, comme je me fatigue beaucoup à faire mon petit ménage, je ne puis plus guère marcher ; et si j'avais pour me promener une petite voiture attelée d'un petit cheval, je serais tout à fait heureuse. - Eh bien, répondit la vieille, peut-être que la bonne fée qui vous a donné une petite maison, un petit chien, une petite chèvre, vous donnera une petite voiture et un petit cheval." La vieille avait à peine tourné le dos que Nabote entendit un bruit de grelots, et aussitôt un petit poney brun attelé à une petite calèche bleue apparut au détour du chemin, et vint s'arrêter devant elle. Cette fois elle faillit s'évanouir de joie, et, sans une pensée de reconnaissance pour qui lui envoyait tous ces biens, elle bondit dans la voiture, saisit les guides, fit claquer le fouet, et le petit poney partit, emportant la petite princesse jusqu'au bout de la forêt. Elle ne rentra que très tard. Oh ! que c'était amusant de se promener ainsi ! Aussi la petite princesse ne s'en privait pas ; toute la journée on entendait les grelots du petit poney et on la voyait très fière installée dans la petite calèche. Elle ne s'en était pas encore fatiguée, quand, au retour d'une promenade, elle aperçut la bonne vieille, assise au bord de la route, comme une personne malade. "Madame Nabote, appela-t-elle d'un voix suppliante, madame Nabote, venez à mon secours, je me suis blessée." Mais Mme Nabote, voyant la nuit arriver, et craignant de ne pas retrouver son chemin dans l'obscurité, jugea inutile de se déranger. Elle continua sa route, et, pour aller plus vite, donna un coup de fouet au petit poney qui prit le grand galop. On filait comme le vent, quand l'une des roues rencontra une grosse pierre : patatras ! voilà la petite calèche bleue qui verse, les harnais qui se cassent, et le petit poney qui se sauve à toute vitesse, laissant la petite princesse étalée au milieu du chemin, et ne trouvant rien de mieux dans sa détresse d'appeler la vieille. "Madame la vieille ! criait-elle, madame la vieille ! Où êtes-vous ? Venez à mon secours." Mais la vieille ne répondit pas, et le ciel se couvrit de grands nuages noirs au milieu desquels zigzaguaient de rapides éclairs rouges. Le tonnerre gronda avec fracas, et la pluie se mit à tomber à torrents. "Madame la vieille ! appelait toujours la petite princesse, venez à mon secours, j'ai grand peur ! Mais elle passa toute la nuit dans les transes. Enfin le soleil se leva, la forêt s'éclaira peu à peu, et les oiseaux commencèrent leur concert. Mais Nabote n'avait que faire de les écouter, elle ne songeait qu'à sa petite calèche bleue qu'elle ne retrouvait pas et à son petit chien qui avait également disparu. Après de vaines recherches, elle se prit à espérer que Colibri était retourné à la maison, et que la bonne fée lui donnerait une autre voiture. Et elle se mit en route pour regagner sa maisonnette. Mais, en arrivant, quelle douleur elle éprouva en apercevant à sa place la méchante caisse couverte de mousse qui, naguère, lui tenait lieu d'habitation ! Le désastre était au-dessus de ses forces ; elle tomba évanouie. Quand elle rouvrit les yeux, elle aperçut la vieille qui la regardait d'un air narquois,. Elle allait balbutier une excuse, une plainte, mais elle n'en eut pas le temps : la vieille disparut dans un nuage qui l'enveloppa subitement. Puis ce nuage se dissipa et laissa voir à la place de la vieille une belle dame vêtue de rayons d'or et toute étincelante de pierreries. Cette fois la petite princesse faillit mourir de saisissement. "Nabote, lui dit la belle dame d'un ton sévère, je suis la fée Désir ; je t'ai apparu plusieurs fois sous la figure d'une vieille, parce que ta faiblesse m'avait intéressée, et j'ai eu la bonté de réaliser tes désirs. Mais tu t'es montrée insatiable, et, pour comble, tu as fait preuve de mauvais cœur hier au soir en refusant de me venir en aide. Aussi je te retire ma protection et te laisse en l'état où je t'ai trouvée." Sur ces paroles, la fée Désir disparut comme avait disparu le petit poney brun, la petite calèche bleue, la petite chèvre blanche, le petit chien noir et la petite maison rose. Et la petite princesse demeura seul auprès de sa vieille caisse couverte de mousse, avec son joli petit visage tout blanc et ses cheveux noirs tout frisés. Paul de MAURELLY |
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