016 Livre Des contes et légendes |
142 Le trou de l'enfer |
Le trou de l'enfer Tout là-bas en Auvergne, dans une vallée que dominaient les restes d'un volcan éteint, il y avait un village où régnait une maladie étrange. Hommes et femmes sentaient soudain leurs forces s'évanouir et se voyaient condamnés à rester dans leur lit... Puis de singulières rougeurs envahissaient leur visage. Les médecins accourus de la ville ne savaient où donner de la tête. Leurs efforts restaient stériles, et tous se demandaient quelle pouvait bien être la cause de cette étrange désolation. Or, dans ce village habitait un riche fermier, le père Théodore. Il avait une fille nommée Francette ; c'était une petite blondinette de douze ans, aux joues roses et potelées, que tout le bourg chérissait. Aussi, lorsqu'un matin le bruit se répandit que Francette était atteinte, elle aussi, de la mystérieuse maladie, ce fut une consternation générale. Mais de tous les gens du village, celui que cette nouvelle navra le plus ce fut Octave, un des domestiques du père Théodore. C'était un grand garçon de quinze ans. Ses parents étaient morts depuis longtemps, et, pour vivre, il s'était placé comme domestique chez le père Théodore. Celui-ci d'ailleurs en faisait grand cas et se plaisait à vanter son inlassable activité au travail, ainsi que la générosité naturelle de son cœur. Francette était toute l'admiration d'Octave. Il respectait tous ses caprices. Pour lui plaire, il grimpait jusqu'à la cime des plus hauts peupliers, et le dimanche, il allait lui cueillir des fleurs sur les côtes escarpées. Aussi il n'y avait pas au monde de plus grands amis que Francette et Octave. "Francette est malade ! songeai tristement le jeune garçon ; que pourrais-je faire pour la sauver ?" Mais il avait beau se creuser la tête, imaginer de fantastiques choses, il ne trouvait rien !... D'ailleurs, que pouvait-il faire, lui, pauvre petit valet de ferme, quand les médecins renonçaient à lutter contre ce mal ! Un dimanche, tout triste, Octave prit le chemin qui menait au volcan. Il songeait à Francette. Il marchait d'un pas ferme dans le sentier rocailleux, voulant aller cueillir un bouquet d'œillets sauvages sur un petit plateau où ces fleurs s'épanouissaient magnifiques. Peut-être leur frais parfum ranimerait-il un peu sa pauvre petite amie. "Où vas-tu, petit garçon ?" dit à ce moment derrière lui une voix. Il se retourna surpris et se trouva en face d'une vieille femme qui ricanait. Elle était très laide et vêtue de haillons. Ses cheveux blancs s'ébouriffaient cocassement sur son front. Octave reconnut une mendiante du pays, que certains disaient être folle, et d'autres, sorcière. Elle habitait on ne savait où, et personne n'aimait à la rencontrer sur sa route. "Je m'en vais cueillir des œillets sauvages ! répondit 0ctave. - Tu ferais mieux de m'aider à regagner mon logis ! gronda la vieille ; mais sans doute tu as comme les autres un cœur de pierre. - Pas du tout ! riposta Octave ;... si je puis vous aider, disposez de moi. - Eh bien, viens me donner le bras, car je n'en puis plus ; je viens de rouler parmi ces maudits rochers qui m'ont blessée aux mains, aux jambes et à la figure." Octave s'exécuta. La mendiante boitait en effet et ne pouvait marcher que péniblement. Personne dans le pays n'aurait osé accepter pareille mission. Le jeune garçon avait bien un peu peur, et c'était d'un oeil craintif qu'il examinait sa compagne. Mais, pensait-il, il ne faut jamais refuser aucun secours, et on doit savoir maîtriser toutes ces répugnances. Longtemps ils marchèrent. La vieille femme le mena dans la partie la plus sauvage de la montagne, jusqu'à une cabane faite de branches. "C'est à !" fit-elle. Elle s'assit sur un tronc d'arbre coupé, avec un profond soupir de satisfaction, puis s'écria : "Décidément, dit-elle, tu vaux ton pesant d'or et renommée est juste, petit !" Octave rougit de plaisir et balbutia : "Ne doit-on pas aide et secours à son prochain ! - Sans doute !... Mais bien peu appliquent cette belle maxime ! Aussi, poursuivit la mendiante, je veux te récompenser. Dis-moi quel serait le plus grand désir de ton cœur. Peut-être pourrais-je quelque chose pour toi !" Les yeux d'Octave s'illuminèrent.. Qui sait !... Cette vieille, que l'on disait sorcière, allait peut-être pouvoir sauver Francette, et ce fut avec force qu'il s'écria : "Oh ! sauvez Francette, et je vous en serai reconnaissant toute ma vie !" La mendiante ricana, secoua la tête et dit : "Je sais... On me croit des pouvoirs surnaturels. Mais tout cela c'est imaginaire. Cependant je peux te venir en aide ; car les hommes ont souvent sous la main le remède à leurs maux et, aveugles, ils ne le voient pas. Écoute, es-tu brave ? - Pour sauver Francette, j'irai n'importe où, répondit Octave avec énergie. - Eh bien, tu vas aller tout là-haut, vers le volcan ; tu y verras le gouffre béant, le "trou de l'Enfer", comme vous l'appelez. Au moyen d'une corde tu descendras dans ce gouffre... - Descendre dans le trou de l'Enfer !" murmura Octave avec un frisson. Jamais personne dans le pays n'avait osé se risquer dans ce trou. Il en sortait comme des grondements sourds, et parfois il s'en échappais des flots de vapeur étrange qui prenait à la gorge et faisait tousser. Dans le bourg, on prétendait que vouloir descendre en ce lieu, c'était marcher à une mort certaine, car en bas on y trouverait des flammes qui vous dévoreraient. Aussi, ce fut avec effroi qu'Octave regarda la vieille femme, se demandant si réellement elle avait toute sa raison. "Je lis dans ton regard que tu me crois folle, ricana la mendiante. Et cependant, petit, descendre dans cet abîme, c'est le seul moyen de sauver Francette ! - Eh bien, j'irai !... j'ai foi en vous ! prononça le jeune garçon d'une voix résolue. - Alors écoute... Une fois arrivé au fond de l'abîme, tu trouveras un couloir que tu suivras sans t'inquiéter de la fumée qui s'en échappe, jusqu'à ce que tu rencontres un ruisseau. Ce sera là le but de ta course. tu puiseras à ce ruisseau de quoi remplir une bouteille, et, matin et soir, tu fera boire à Francette un peu de cette eau. - J'ai compris ! répondit Octave. Il rentra au village afin de faire ses préparatifs. Il s'empara de la plus longue corde qu'il put trouver, d'une lanterne, d'une gourde emmaillotée de paille, et attendit la nuit. Sitôt le repas du soir terminé, il se dirigea vers l'étable où il avait caché son fourniment, puis, ayant en main un gros bâton ferré, il prit le sentier de la montagne. Hardiment, il allait, ayant foi dans la réussite de son entreprise, ne songeant qu'à une chose : sauver Francette. Peu lui importait le danger qu'il allait affronter ! Son cœur était aussi courageux qu'il était charitable. On avait besoin de son aide : cela suffisait à ses yeux. Soudain, il vit bondir vers lui une chose noire... C'était Pataud, le chien de la ferme, qui l'avait suivi. "A la niche !" gronda Octave. Mais la bête ne voulut rien entendre et resta dans son ombre, levant vers lui son regard suppliant. Et autour d'eux la nuit était noire, sans une étoile, sans une caresse de lune. Arrivé au pied du volcan, Octave aperçut le trou de l'Enfer. Il ne put retenir un frisson. Le lieu était si désolé, si sinistre que l'âme la plus vaillante aurait hésité... Octave s'approcha, et son œil explora le gouffre d'où montait une vapeur âcre qui sentait le soufre... Il déroula la corde dans gouffre et en attacha l'extrémité le plus fortement qu'il put à un tronc d'arbre qui se trouvait là. Puis accrochant sa lanterne allumée à sa ceinture, il saisit la corde et descendit, tandis qu'au bord du trou, Pataud alarmé se mettait à hurler douloureusement dans la nuit noire. Lentement, Octave se laissait glisser dans le puits étrange. Les vapeurs qui montaient le prenaient à la gorge. En bas, quelque chose grondait sinistre ; c'était comme un bouillonnement furieux !... Puis une chaleur intense, à mesure qu'il s'enfonçait, le pénétrait et le faisait ruisseler de sueur. Mais, tenace, il poursuivait la descente, se cramponnant à son idée de sauver Francette. Enfin il toucha terre... En face de lui s'ouvrait un couloir d'où s'échappaient des flots de vapeur. Octave, levant sa lanterne, s'y précipita, radieux. La vieille mendiante ne l'avait donc point trompé ! Mais, dans ce couloir, l'air était irrespirable et la chaleur étouffante. Tête baissée, il avança vite, retenant sa respiration. Et soudain à ses yeux apparut, jaillissant d'une fissure, avec fracas, le ruisseau annoncé par la vieille mendiante. Il coulait large, brûlant, bouillonnant avec force. "Enfin !" murmura Octave. Sa bouteille une fois pleine, il la boucha soigneusement, puis revint en arrière. Mais, maintenant qu'il avait atteint son but, son effort se ralentissait. Il haletait péniblement. De grosses gouttes de sueur perlaient sur sa face rouge. Il se sentait défaillir. Néanmoins, il atteignit la corde. Mais ses mains étaient moins sûres et tremblaient. Les pierres étaient glissantes. A chaque instant, il s'arrêtait pour reprendre haleine. "Mon Dieu ! gémit-il, comment faire pour remonter ?" Si près de la victoire, allait-il périr abandonné au fond de ce trou ? Alors, dans un effort suprême, il parvint saisir la corde et à la passer dans sa ceinture. Mais à ce moment, il se sentit suffoquer, il poussa un grand cri, ferma les yeux, et se laissa tomber... Cependant Pierre, un camarade d'Octave, avait remarqué sa disparition. Il s'était inquiété et était parti à sa recherche. Les hurlements de Pataud, qui, au bord de l'abîme, appelait à l'aide, attirèrent son attention. il vit la corde. Alors, avec effort, il parvint à hisser le corps du jeune garçon, qui, heureusement, au contact de l'air vif, reprit bientôt ses sens... La mendiante n'avait point trompé 0ctave. Francette but l'eau de la source et se trouva guérie. Alors les médecins s'étonnèrent. Ils demandèrent au jeune valet des explications. Il raconta son aventure et révéla le ruisseau mystérieux qui grondait au fond du trou de l'Enfer. Aujourd'hui, une de nos plus magnifiques villes d'eau s'étend autour du vieux volcan, du fond duquel jaillit la source bienfaisante. Marc SAUNIER - 1910 |
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