016 Livre Des contes et légendes |
096 Le Rossignol et la Belle-de-Nuit |
Le Rossignol et la Belle-de-Nuit Quel délicieux pays que le royaumes des Emeraudes ! Que de curieux voudraient le visiter ! Malheureusement le Temps, impitoyable destructeur, n'a pas plus respecté ses palais d'or et de pierres précieuses que la gloire et la prospérité d'empires plus vastes, dont les écoliers les moins sensibles au charme des études historiques connaissent tout au moins les noms. Vers l'an 642 après Nostamalda, législateur des Emeraudiens, une petite princesse naissait dans le palais royal. Les fées, pressées autour du berceau capitonné de satin, lui avaient prodigué tour à tour la bonté, l'esprit, la grâce, la beauté, quand la fée des Neiges, pâle et triste dans sa parure hivernale, déclara que la mignonne fillette mourrait si elle voyait une seule fois la lumière du soleil. Désespérés, le roi et la rein voulurent éviter pour toujours à l'enfant la vu du beau ciel de son pays. Ils firent construire pour elle un palais immense, qui, d'après les documents relatant l'histoire de la princesse Zella (c'était son nom) fut considéré comme la 142e merveille du royaume des Emeraudes. Il n'avait pas de fenêtres, une porte d'or couverte de diamants permettait seule aux visiteurs et aux serviteurs l'accès de cette demeure étrange et féerique. Les salles étaient capitonnées de satin bleu, blanc ou rose semé de pierres précieuses aux feux changeants. Cent mille bougies, placées dans des candélabres d'or, y entretenaient constamment une brillante lumière. Toutes les ressources de l'industrie et de l'art avaient été employées pour distraire et charmer la royale recluse. Amenée dans ce palais d'or sans que ses jolis yeux bleus aient vu l'azur du ciel ou suivi un blond rayon de soleil, Zella s'y trouvait heureuse. Elle y grandit, persuadée que les plafonds aux peintures délicates, les tentures aux couleurs riantes, devaient nécessairement borner ses regards, que la lumière factice illuminant sa demeure était seule qui existât. Quand la jeune fille atteignit sa dix-huitième année une grande fête réunit dans l'immense salon blanc aux meubles d'émeraude, les rois les plus puissants, les princesses les plus belles et les plus élégantes, les seigneurs les plus aimables de son pays et des royaumes environnants. La fée des Neiges avait présidé à la toilette de Zella et quand celle-ci parut, vêtue d'une robe bleue pâle pailletée d'aiguilles de givre brillantes comme des diamants finement taillés, un murmure d'admiration l'accueillit et un courtisan empressé la surnomma Belle-de-Nuit. Un prince étranger nommé Rossignol, le seul sans doute à qui le seul sans doute à qui l'on eût négligé de raconter l'histoire mystérieuse de la jolie princesse, crut que le palais sans fenêtres était né d'un de ces caprices, et en dansant avec elle il dit en souriant : - Gracieuse Zella, vous avez eu une heureuse idée en faisant construire cette demeure sans ouvertures, car, lorsqu'on peut contempler vos yeux, le ciel le plus bleu semblerait sombre, lorsqu'on peut admirer votre blonde et vaporeuse chevelure, les rayons du soleil ne sauraient charmer les regards. Ces compliments laissèrent la jeune fille songeuse tout le reste du jour. Le ciel, le soleil étaient des choses inconnues pour elle et après avoir rêvé bien longtemps elle décida à tout tenter pour les voir. Le lendemain, tout le monde reposait encore au palais d'Or quand Zella, trompant la vigilance de ses femmes, traversa les salles brillamment illuminées, ouvrit la porte et sorti. Les gardes, profondément endormis, n'avaient pas entendu ses pas légers et elle se trouvait dans les rues pavées de marbre, sans que personne soupçonnât cette promenade mortelle. Habituée à la lumière éblouissante qui inondait ses appartements, la clarté indécise qui enveloppait la ville cette heure matinale l'étourdit d'abord, mais elle se remit bientôt et marcha à l'aventure. Elle était arrivée prés d'un petit bois, quand le voile, qui semblait couvrir tout d'une lueur bleuâtre, se déchira : dans le ciel azuré, le soleil, rouge comme un globe de feu, darda ses rayons brûlants. La jeune princesse, frappée à mort par cette chaleur ennemie, tomba sous les ombrages puissants, à la protéger. Une exclamation de douleur retenti près d'elle à ce moment. Le prince Rossignol venait d'apprendre la valeur de ses imprudentes paroles, quand, en se promenant dans la ville, il avait aperçut la jeune fille. Affolé de désespoir, il venait seulement de la rejoindre et ne savait comment réparer le malheur qu'il avait causé inconsciemment. Soudain, la fée des Neiges, plus pâle que jamais, apparut devant lui. De sa baguette froide et brillante elle toucha Zella inanimée et les yeux bleus, les cheveux dorés, la longue robe blanche disparurent. La princesse des Emeraudes n'était plus qu'une jolie fleurette qui ferma aussitôt sa corolle. L'infortunée jeune fille n'était plus qu'une mignonne belle-de-nuit. Le prince pleurait en appelant Zella. La fée comprit ses regards suppliants, elle eut pitié de sa douleur et, frappant son vêtement avec la baguette de glace, elle le transforma en un petit oiseau gris, au plumage bien humble, mais elle lui donna ce qui charme le plus dans l'oiseau et il devint le chantre mélodieux des belles nuits de printemps. Aujourd'hui, les princesses les plus délicates peuvent supporter l'éclat des rayons du soleil, le royaume des Emeraudes n'est plus qu'un souvenir, la baguette des fées est brisée, mais le chant du rossignol n'a rien perdu de sa poésie et la belle-de-nuit est toujours fraîche et gracieuse. Quand la nuit est venue, quand la nature s'est doucement endormie, que les étoiles d'or se sont allumées, une à une dans le ciel d'un bleu laiteux, que la lune verse sa lumière argentée sur les gazons de velours vert, un chant étrange, aux roulades tour à tour lentes, joyeuses ou tristes s'élève vers le ciel, troublant seul le silence mystérieux. Promeneur solitaire, tu supposes que ces notes sublimes où l'invisible musicien met toute son âme et tout son talent bercent seulement les rêves. Il n'en est rien. Regarde au pied de l'arbre où se tient le roi incontesté de ces nuits si calmes : une mignonne fleurette vient de s'ouvrir, la brise parfumée glisse plus légère, le chanteur ailé commence l'histoire de la malheureuse Zella et la belle-de-nuit écoute ! SAUVAGE |
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