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016 Livre
Des contes et légendes
028 Le jardinier et son maître
Poème

Le jardinier et son maître

Dans son jardin un riche avait
Une source dont l'eau limpide
Venait perdre, après une course rapide,
En un étang ou maint fretin vivait,
Destiné toutefois à mourir pour la table
De ce riche, amateur mais surtout confortable.

C'est Gros-Jean, paysan de peu d'esprit fourni,
Qui des soins du jardin avait fait son affaire.
Or, lui ne faisait pas une chose à demi,
Et pour vivifier les fleurs de son parterre,
Comme il l'avait ouï dire à son meilleur ami,
Il arrosait... oh ! mais, la grasse matinée
Et parfois toute la journée ;
Si bien qu'il en noyait les fleurs ; et qu'à la fin,
A force de puiser dans l'étang de notre homme,
Carpes et rougets un matin
Se trouvèrent à sec, et sur le flanc en somme.

Ce que voyant le châtelain,
Il traita Gros-Jean, Dieu sait comme !
Car on devine son humeur :
- "Halte-là ! lui dit-il, compère !
Foin ! de l'intrépide arroseur !
Sans doute, je veux bien avoir dans mon parterre
Et fleurs et fruits, mais aussi tiens-je à cœur
D'avoir à mon repas du poisson sur la table !"

Et là-dessus voici messire Jean -
Bien plus maladroit que coupable
Qui, voulant réparer l'échec fait à l'étang,
Dépose tout à fait l'arrosoir et vous laisse
Les plantes dépérir par trop de sécheresse.

Le maître revient au jardin,
Et, contrit, voit ses fleurs pour les trois quarts sans vie.
Il entre en fureur, peste et crie.
Gros-Jean explique son dessein.
L'autre que la colère au bout du compte emporte,
Lui dit : "Pardieu ! monsieur le jardinier malin,
N'arrose pas mes fleurs de telle sorte
Que tu laisses ainsi mon cher poisson mourir ;
Mais, d'un autre côté, -car ta bêtise est telle,-
Ne va point par excès de zèle,
Laisser pour mon poisson toutes mes fleurs périr !"

Ce que disait le maître était fort raisonnable.
Pour jouir d'un bonheur parfait,
L'homme sage doit, en effet,
Savoir unir l'utile à l'agréable.

A. BOUCHE