016 Livre
Des contes et légendes
035 Le chant de l'alouette
Conte

Le chant de l'alouette

As-tu déjà parcouru la campagne, ami lecteur, à l'aube d'un beau jour d'été quand le soleil surgissait, le front radieux, de son lit de pourpre ; quand les blonds épis qui couvrent la plaine ondulaient comme les vagues d'un océan d'or, mollement balancés par la brise ?
Ton oreille attentive écoutait une divine mélodie qui dominait les bruits mystérieux de la nature frissonnante sous le réveil. Tes yeux levés vers le ciel d'où semblaient venir ces chants délicieux distinguaient, perdu dans l'immensité bleue, un point imperceptible, qui se mouvait cependant, tantôt se rapprochant de la terre, tantôt disparaissant dans un flot de lumière pour reparaître quelques instants après. Tu comprenais alors que c'était une alouette matinale et, l'âme ravie, tu ne te lassais pas d'écouter ces chants suaves.
Je veux te dévoiler aujourd'hui un doux mystère et te dire pourquoi cet oiselet a choisi pour égrener sa voix en joyeux trilles l'heure où point l'aurore et la solitude de l'azur immense.

C'était par une matinée, au milieu d'une plaine ensoleillée mais aride de Palestine. Joseph, averti en songe des desseins homicides d'Hérode, avait fui toute la nuit, guidant vers la terre plus hospitalière d'Égypte la Vierge, assise sur un âne, et tenant en ses bras l'Enfant Jésus endormi.
Ils avaient parcouru la plaine en tous sens, cherchant, mais en vain, quelque nourriture qui leur permît de continuer leur route pénible. Harassés de fatigue, mourant de faim, ils s'étaient arrêtés, attendant que le Ciel leur vînt en aide quand, jetant ses notes joyeuse dans le silence qui planait sur l'étendue, une frêle alouette s'approcha de la sainte famille abandonnée.
L'Enfant se réveilla ; un sourire d'une tendresse infinie s'épanouit sur ses lèvres roses ; et de sa douce voix il dit à l'oiseau :
- La plaine est immense, plus aride que le roc brûlé par les rayons du soleil. Où trouveras-tu le grain de blé qui te rassasie ? Tu ne sais donc pas, téméraire, que tu  risquais ta vie en venant en ces lieux ?
Mais elle répondit en un gazouillement léger :
- J'ai vu votre douleur et votre abandon. Je suis venue pour vous annoncer qu'il est non loin d'ici un endroit fertile où règne l'abondance et vers lequel je vous guiderai si vous voulez me suivre.
Ce disant, elle prit son essor, tandis que Joseph, animé d'un nouveau courage, conduisait l'âne qui portait Marie en suivant des yeux la route que leur traçait l'alouette dans les airs.
Ils atteignirent bientôt une colline verdoyante d'où s'écoulait une source qui répandait la fécondité, la vie sur son passage. Là, ils purent, après s'être rassasiés, goûter quelques instants d'un repos bienfaisant.
Avant de s'engager sur la route poudreuse, l'Enfant dit à l'alouette :
- Grâce à ton cœur charitable nous avons échappé à la mort la plus cruelle. Je te fais la promesse, en récompense de ton dévouement, de réaliser à l'instant le désir, quel qu'il soit, que tu voudras bien m'exprimer.
Le regard de l'oiseau s'éclaira d'une lueur de joie et de profonde reconnaissance, mais soudain des larmes baignèrent ses beaux yeux limpides, y répandant une infinie tristesse, et ce fut d'une voix agitée par l'émotion qu'elle répondit :
- J'avais une tendre mère que j'adorais mais que je n'ai plus revue depuis le jour maudit où, comme nous chantions parmi les blés mûrs, l'homme cruel lui lança le trait meurtrier et me ravit son cadavre. Accorde-moi dont la grâce de la revoir, ne fût-ce qu'un instant, pour recueillir le baiser suprême qui me fut refusé à l'instant de sa mort.
- Ta prière est exaucée, mignonne alouette, répondit l'Enfant, non seulement je vais te rendre à celle que tu chéris, pour un instant, mais chaque jour quand poindra l'aurore, un rayon de pourpre, glissant parmi les blonds épis, viendra caresser ta paupière close dans ton nid parfumé ; tu voleras vers le ciel, vers ces régions élevées où t'attendra ta mère, où les rumeurs de cette triste terre ne troubleront jamais vos doux entretiens. Quand la mort te guidera définitivement vers elle, tes descendants à leur tour viendront chaque matin se grise avec toi d'amour et de chansons.
Un nouveau sourire éclaira la face divine de Jésus qui pencha sa tête blonde sur le sein de sa mère bien-aimée et s'endormit, reprenant un beau rêve, tandis que Joseph plein d'espérance se dirigeait vers la terre de salut et que l'alouette disparut dans les airs, répandant sa divine mélodie plus suave qu'aucun chant de la terre.

Je possédais dans mon enfance un de ces charmants oiselets enfermé dans une étroite cage que je plaçais sur le bord de la fenêtre. Un jour que le soleil semblait convier tout le monde à la joie et au plaisir et que ma captive restait sombre et muette, blottie au fond de sa prison, je lui demandai la cause de sa tristesse.
Elle me conta ce que je viens de vous rapporter.
- Malgré tous les soins dont tu m'entoures, continua-t-elle, crois-moi, il n'est pas de bonheur plus doux que d'être auprès de sa mère et pour cela il me faudrait l'air, l'azur, cette liberté enfin que tu m'as ravie à jamais !
- S'il en est ainsi, répondis-je aussitôt, le cœur plein de honte, car je me sentais bien coupable, je veux t'accorder à l'instant même ce que tu désires si ardemment, à condition toutefois que tu voudras bien te charger d'un doux message.
- J'avais une petite sœur dont le regard profond était un reflet du Paradis qu'elle avait quitté. La neige était bien moins pâle que son front noyé sous de flots de cheveux d'or et sa voix résonnait à mon oreille comme le chant d'une harpe céleste. Mais elle ne put rester sur cette terre ; les anges, jaloux de mon bonheur sans doute, l'ont ravie à mon affection. Dis-lui, quand tu la verras trônant parmi les chœurs angéliques, qu'elle fut bien cruelle de m'abandonner ainsi ; porte-lui sur ton aile le baiser d'un frère qui la pleure et dont le plus doux moment sera celui qui le ramènera vers elle !
Elle me le promit. J'ouvris donc la cage d'où elle s'enfuit en chantant.
Le lendemain dès l'aube, je me promenais dans la campagne, triste, en songeant à mon abandon, à la solitude dans laquelle désormais j'étais condamné à vivre, quand l'alouette que j'avais rendue à sa mère vint s'abattre sur mon épaule ; sa voix tendre résonna doucement à mon oreille ; elle déposa son bec tout rose sur mes lèvres pâles et disparut aussitôt.
Je ne devais plus la revoir.
Mais je sais qu'elle a tenu sa promesse ; j'ai compris qu'elle avait porté ce matin-là le baiser que j'imprimai sur son aile à petite sœur qui me le rendit en priant la fidèle messagère de me l'apporter, ce qu'elle fit en posant son bec de fin corail sur mes lèvres pâlies, tandis qu'en son doux langage elle semblait me dire :
- Elle t'attend là-haut.

L.E.ALPHONSE MILLET