016 Livre
Des contes et légendes
047 La souris blanche
Conte

La souris blanche

Comment la fée des Pleurs fut changée en blanche sourette.

Un jour de printemps et de nouvelle lune, il se fit un grand mouvement dans le royaume des fées. Toutes étaient conviées à une grande fête que donnait, le soir même, la reine des fées à son peuple.
A l'heure convenue, comme vous le pensez bien, ces dames arrivèrent en foule, exactes et empressées, chacune voyageant à sa manière, les unes dans une conque de saphir attelée de papillons, les autres dans une feuille de rose emportée par le vent.
Une fée manquait au rendez-vous. Dès le matin, l'une des suivantes de la reine, Angelina, surnommée la fée des Pleurs, à cause de sa pitié pour toutes les infortunes, était sortie furtivement du palais.
Des cris plaintifs, des cris d'enfant l'avaient éveillée en sursaut, et soudain elle s'était dirigée vers l'endroit d'où venait le bruit ; les cheveux au vent, vêtue d'une robe flottante, or et azur, tenant à la main la baguette d'ivoire, marque de sa puissance...
Après avoir marché longtemps, elle s'arrêta enfin devant une petite cabane, sur la lisière d'une forêt. Il serait inutile de vous en faire la description, car je soupçonne fort que vous croyez la reconnaître, et vous ne vous trompez pas : cette cabane de bûcheron est bien celle de Petit Poucet.
C'était lui, c'étaient ses frères dont les plaintes avaient éveillé Angelina : leurs parents, occupés au loin dans la forêt, y avaient passé la nuit pour être prêts au travail dès l'aurore, et ne les voyant pas revenir à l'heure accoutumée, la jeune famille avait eu grand'peur.
La visite de la fée, que les pauvres enfants connaissaient déjà, ramena pour quelques temps la paix et la joie dans la cabane.
A la chute du jour, Angélina se souvint que la fête allait commencer et voulut partir ; mais tous, la rappelaient et la retenaient par le pan de sa robe, et la bonne fée souriait et cédait.
Cependant, un grillon, venu on ne sait comment du palais des fées, se mit à crier dans l'âtre : "A table, Angelina ! on n'attend plus personne, et le banquet solennel commence. A table ! à table ! car, de mémoire de grillon, jamais on ne vit plus beau festin.
Puis voilà qu'un papillon du soir vint danser autour de la lampe en répétant : "Au bal, Angelina ! la salle est déjà pleine d'harmonie et de lumière. Au bal ! au bal ! car, de mémoire de papillon, jamais on ne vit plus brillante soirée."
Et Angélina voulait partir ; mais les enfants la retenaient avec des cris et des pleurs. "Oh ! ne nous quittez pas encore, disaient-ils ; que deviendrons-nous, bon Dieu ! seuls, la nuit, quand la lampe s'éteindra, quand le loup montrera ses grands yeux à travers les fentes de la porte, et que nous entendrons dans la clairière siffler les vents et les voleurs ?"
Et la bonne fée souriait et cédait toujours. Mais on entendit tout à coup une voix terrible crier : "Angélina ! Angélina !" C'était la reine des fées qui l'appelait, irritée d'une si longue absence.
Épouvantée, Angelina se débarrassa des petites mains qui l'empêchaient de sortir trop vite. Trop vite, hélas ! car, dans son trouble, elle oublia sa baguette, dont le plus jeune des enfants s'était fait, un hochet dans son berceau.
Or, vous saurez qu'une fée qui égare sa baguette est une fée perdue. La pauvre Angélina ne s'aperçut de son malheur qu'à l'explosion de murmures indignés qui salua son retour au palais. Ce fut un grand scandale pour toutes les fées...
La coupable fut traduite devant un tribunal présidé par la reine, et fut condamnée à courir le monde pendant un siècle, sous la forme d'une souris blanche...
Et voilà comme quoi la fée des Pleurs fut changée en blanche sourette.

Hégésippe MOREAU