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016 Livre
Des contes et légendes
061 La préparation de la révolte

La préparation de la révolte

La scène se passe dans l'un des cantons les pus âpres du Périgord, où une famille de petits seigneurs, les Nansac, ajoute depuis longtemps, par sa cruauté, aux malheurs des pauvres gens. Mais leur tyrannie est devenue insupportable. Un jeune homme, Jacquou, va, à la tête des paysans, et avec Jean son vieil ami, donner le signal de la révolte et préparer l'incendie du château.

L'endroit était un petit plateau entouré de bois et loin de tout chemin... C'est là que la vieille Huguette, la sorcière du Cros-de-Mortier se rendaient à cet endroit portant, selon le cas, un coq ou une poule que la vieille saignait après un tas de simagrées. Ensuite, ayant aspergé les pierres de sang de la bête, elle lui ouvrait le ventre d'un coup de couteau et farfouillait dedans au clair de lune, afin de tirer au vu du coeur et du foie, des pronostics sur l'affaire pour laquelle on la consultait.
La sorcière est morte maintenant et les sacrifices de poulaille ont cessé, mais il y a encore des vieux qui en ont été témoins.
A mesure que les gens sortaient du bois, ils venaient se grouper autour de la Peyre-Male et attendaient, appuyés sur leurs lourds bâtons. Lorsque je vis que tout le monde était arrivé, je me levai, et, m'adressant aux femmes, je leur demandai ce qu'elles venaient faire là.
"Et penses-tu, dit une ancienne de Prisse, que nous n'ayons rien à venger ?
- Nous crois-tu plus couardes que les hommes ? ajouta une autre.
- A la bonne heure, donc, puisqu'il en est ainsi !"
Et alors, monté sur une des ces grosses pierres, je refis amplement mes premières prêches des villages, et je montrai très clairement la triste situation où nous étions. Tandis que je parlais, récapitulant longuement les griefs de tout le pays contre le Comte de Nansac, mes paroles ravivaient les blessures de tous ces pauvres gens et je voyais dans l'ombre reluire leurs yeux. C'était une chose curieuse que ces paysans assemblé la nuit dans cet endroit sauvage. Ils étaient vêtus misérablement, tous, de vestes en droguet, blanchies par l'usure, de vieilles blouses décolorées, salies par le travail, de culottes de grosse toile ou d'étoffe burelle, pétassées de morceaux disparates. Quelques vieux comme Jean avaient de mauvaises limousines effilochées par le bas, et d'autres pauvres diables loqueteux étaient à demis couverts de haillons n'ayant plus ni forme ni couleur. La plupart étaient coiffés de bonnets de coton, bleus, blancs, avec un petit floquet, sales, troués souvent, qui laissaient échapper d'épaisses mèches de cheveux. D'autres avaient de grands chapeaux périgordins ronds aux bords flasques, déformés par le temps et roussis par le soleil et les pluies. Point de souliers, tous pieds nus dans leurs sabots garnis de paille ou de foin. Les femmes abritaient leurs brassières d'indienne et leurs cotillons de droguet sous de mauvaises capuce de bure, ou se couvraient les épaules d'un de ces fichus grossiers qu'on appelait en patois les coullets.
C'était bien là la représentation du pauvre paysan périgordin d'autrefois, tenu soigneusement dans l'ignorance, mal nourri, mal vêtu, toujours suant, toujours ahanant, comptant pour rien, et méprisé par la gent riche.
Quand j'eus fin mon oraison, je demandai :
"Maintenant, parlez. Votre sort est entre vos mains, il ne faut que vouloir. Êtes-vous bien décidés à vous venger du brigand de Nansac ? à jeter à bas sa malfaisante puissance ? à vous débarrasser pour toujours de cette famille de loups ?
- Oui ! Oui ! dirent-ils tous d'une voix sourde.
- C'est très bien !
Et alors, les faisant tourner tous vers le château de l'Herm, je les fis jurer à l'antique manière de nos ancêtres, comme ma mère m'avait fait jurer jadis. Tous comme moi crachèrent dans leur main droite et, après y avoir tracé un croix avec le premier doigt de la main gauche, la tendirent ouverte en disant à mi-voix après moi !
"A bas les Nansac!"
-C'est bien, mes amis ; et maintenant que chacun se tienne prêt. Une de ces nuits, quand le moment sera bon, lorsque vous entendrez trois coups de corne secs et espacés, suivis d'un autre coup prolongé arrivez tous vivement ici : la vengeance sera proche et notre délivrance sera dans notre main !"
Là-dessus, la foule se dispersa dans les bois et chacun s'en revint au village.

Eugène le ROY - Jacquou le Croquant

L'attaque du château eut lieu, l'une des nuits suivantes. On ne fit de mal à personne, mais les bâtiments furent incendiés. Jacquou fut acquitté par les juges de Périgueux.