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016 Livre
Des contes et légendes
023 La pierre qui accuse
Conte de Voltaire

La pierre qui accuse

Voltaire, le plus grand écrivain du XVIII° siècle, fit une guerre inlassable aux injustices de l'ancien régime et aux privilèges de la noblesse et du clergé.
Dans le conte de Zadig, il montre un personnage très intelligent et réfléchi, juste et honnête, fort habile à démêler la vérité que tous les hommes cherchent à obscurcir.


Arrivé dans sa tribu, Sétoc commença par redemander cinq cents onces d'argent à un Hébreu auquel il les avait prêtées en présence de deux témoins ; mais ces témoins étaient morts ; et l'Hébreu, ne pouvant être convaincu, s'appropriait l'argent du marchand, en remerciant Dieu de ce qu'il lui avait donné le moyen de tromper un Arabe.

Sétoc confiant sa peine à Zadig, qui était devenu son conseil.
- En quel droit, demanda Zadig, prêtâtes-vous vos cinq cents onces à cet infidèle ?
- Sur une large pierre, répondit le marchand, qui est auprès du mont Horeb.
- Quel est le caractère de votre débiteur ? dit Zadig
- Celui d'un fripon, reprit Sétoc.
- Mais je vous demande si c'est un homme vif ou flegmatique, avisé ou imprudent.
- C'est de tous les mauvais payeurs, dit Sétoc, le plus vif que je connaisse.
- Eh bien ! insista Zadig, permettez que je plaide votre cause devant le juge.

En effet, il cita l'Hébreu au tribunal et il parla ainsi au juge :
- Oreiller du trône d'équité, je viens redemander à cet homme, au nom de mon maître, cinq cents onces d'argent qu'il ne veut pas rendre.
- Avez-vous des témoins ? dit le juge.
- Non, ils sont morts ; mais il reste une large pierre sur laquelle l'argent fut compté ; et, s'il plaît à Votre Grandeur d'ordonner qu'on aille chercher la pierre, j'espère qu'elle portera témoignage ; nous resterons ici, l'Hébreu et moi, en attendant que la pierre vienne ; je l'enverrai chercher aux dépens de Sétoc, mon maître.
- Très volontiers, répondit le juge ; et il se mit à expédier d'autres affaires.

A la fin de l'audience :
- Eh bien ! dit-il à Zadig, votre pierre n'est pas encore venue ?
L'Hébreu, en riant, répondit :
- Votre Grandeur resterait ici jusqu'à demain que la pierre ne serait pas encore arrivée ; elle est à plus de six milles d'ici, et il faudrait quinze hommes pour la remuer.
- Eh bien ! s'écria Zadig, je vous avais bien dit que la pierre porterait témoignage ; puisque cet homme sait où elle est, il avoue donc que c'est sur elle que l'argent fut compté ?
L'Hébreu déconcerté, fut bientôt contraint de tout avouer.
Le juge ordonna qu'il serait lié à la pierre, sans boire ni manger, jusqu'à ce qu'il eût rendu les cinq cents onces, qui furent bientôt payées.