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016 Livre
Des contes et légendes
163 La Fée des neiges

La Fée des neiges

Claudine Mercy, lorsque lui arriva l’aventure que je vais vous dire, n’avait que huit ans. C’était une petite fille tout à fait aimable et gracieuse, mais crédule, ah ! si crédule, ah ! si crédule qu’elle ajoutait foi à toutes les choses que les aïeules racontent pendant les veillées. Les fées, pour elle, existaient réellement ; son rêve était d’en connaître quelqu’une et, de préférence, la fée des neiges qui passe, chez les paysans lorrains, pour très généreuse et bienveillante. Ce qu’on lui demande, elle l’accord du premier coup. Le difficile est de la rencontrer.
« Si je savais où elle demeure, j’irais, pensait Claudine, la supplier de rendre maman un peu moins pauvre. »
Personne, en effet, à Audun-le-Roman, n’était plus à plaindre que Mme Mercy. Veuve et sans nul soutien, elle travaillait, pour un maigre salaire, tantôt ici, tantôt là, et ne possédait au monde qu’une maisonnette située à quelque distance du bourg, sur la route qui mène en Alsace. Autour de la cabane s’étendait – oh, pas loin, - un potager. De la sorte, on avait des pommes de terre, des choux… Tant que duraient les choux, les pommes de terre, on mangeait presque à sa faim. Ensuite il fallait se résigner au jeûne, et les jours n’étaient pas rares où l’on ne prenait qu’un seul repas.
Ajoutez que, pendant une longue maladie qu’elle avait eue, Mme Mercy (comment faire autrement !) s’était endettée. Au marchand Stanislas Hermann, de Nancy, elle avait emprunté, écu par écu, cent francs, somme énorme pour elle, et que, sans y parvenir, elle ne demandait qu’à rendre. D’abord le créancier avait attendu avec patience ; mais, à présent, il se fâchait, réclamait son argent d’une manière pressante, et en arrivait même à des menaces. La veuve, par conséquent, s’affligeait, s’effrayait, versait des larmes, et Claudine, qui voyait pleurer sa mère, songeait chaque tour davantage à la bonne fée des neiges, et méditait de se mettre en chemin pour l’aller chercher.
Mais la recherche s’annonçait périlleuse, et l’enfant la renvoyait tous les soirs au lendemain. De cette façon le temps coulait, et voici que les arbres n’avaient plus de feuilles, et que la nuit tombait de bonne heure. C’était l’hiver… Un dimanche matin, vers la fin du mois de novembre, les habitants d’Audun-le-Roman virent, à leur réveil, la neige tournoyer devant les fenêtres. Un tapis blanc s’étendait le long des rues, et couvrait, jusqu’au bout de l’horizon, les plaines et les collines. Sans cesse descendait du ciel une multitude de nouveaux flocons ; le vent – un vent brusque et glacial – les poussait devant lui comme une nuée de mouches, et, vrai, par un tel temps, ceux-là avaient de la chance qui pouvaient rester au coin du feu !
Ce n’était pas le cas du facteur. Chaussé de hautes guêtres et creusant un noir sillon dans la neige, il allait d’une porte à l’autre. Ce jour-là, il n’avançait pas vite, et midi sonnait d’une porte à l’autre. Ce jour-là, il n’avançait pas vite, et midi sonnait lorsqu’il arriva à la cabane de Mme Mercy. Toc ! toc ! Il frappa deux coups à la vitre, tendit une enveloppe et s’éloigna. La veuve, d’une main tremblante, déchira l’enveloppe, déploya un large papier. Comme elle ne savait pas très bien lire, elle eut de la peine à saisir le sens de la lettre. Pourtant, avec le secours de Claudine, elle en vint à bout, et finit par comprendre qu’on l’avertissait que si elle n’avait pas, avant trois jours, payé à M. Stanislas Hermann la somme qu’elle lui devait, sa chaumière et ses meubles seraient vendus.
« Cette fois, gémit la pauvre femme, plus de remède !... Notre perte est certaine, et il ne nous reste qu’à aller, la besace à l’épaule, par les chemins… Ah ! ma chérie, ma chérie, que la vie nous est cruelle ! Que ferons-nous lorsqu’on nous aura chassées d’ici ? Elle me perce le cœur, la pansée de ce qu’il te faudra souffrir. »
Serrant entre ses bras sa fille, ainsi parlait la maman. Mais la petite ne répondait rien : l’œil à demi fermé, elle semblait se recueillir, former en elle-même quelque dessein. Étonnée, Mme Mercy s’écarta un peu, puis erra en soupirant dans la chambre jusqu’au moment où, ayant vu que le feu s’éteignait, elle se rendit au jardin pour y prendre du bois qu’elle avait coupé la veille.
Dès que sa mère fut sortie, Claudine se leva d’un bond, se couvrit d’un épais fichu de laine, s’élança hors de la maisonnette, et s’engagea dans la campagne en disant :
« Tâchons de trouver la Fée des neiges ! C’est elle seule qui peut nous sauver. »
Marqué par les poteaux et les fils du télégraphe, la route s’allongeait, droite et déserte. A chaque pas, l’enfant s’enfonçait jusqu’à la cheville, et ne retirait son pied qu’avec effort. Par instants, la bise lui jetait au visage une poussière glacée ; son cœur battait à se rompre ; elle avait très peur, très froid, et sentait en marchant une façon de vertige. Néanmoins, elle s’obstinait à aller en avant, et elle avait déjà parcouru un grand bout de chemin lorsqu’elle éprouva tout à coup une telle lassitude qu’il lui fallut s’arrêter. Un tronc d’arbre, à cet endroit, était étendu au bord du fossé, Claudine s’approcha du tronc d’arbre et s’y assit.
A peine assise, elle entendit un bruit de sonnettes, et aperçut, venant vers elle, un traîneau attelé d’un joli cheval. Coiffé et vêtu de fourrures, un homme robuste et de haute taille conduisait cet équipage. C’était M. Gilbert Troismaisons, le plus riche minotier de la province, un personnage, au fond, plein de bonté, mais rude, autoritaire, fantasque. Tout le monde, à vingt lieues à la ronde, le connaissait, et lui, il connaissait tout le monde, sans excepter Claudine Mercy.
En la voyant seulette au milieu des champs couverts de neige, il fut non moins inquiet que surpris. Brusquement, il s’arrêta devant le tronc d’arbre, et, d’une voix grondante, demanda :
« Que fais-tu, donc ici, petite sotte ?
- Je cherche, monsieur, la Fée des neiges.
- Es-tu folle ?
- Oui, de chagrin.
- La cause ?
- Une dette que maman veut payer… Cent francs… On va pour ces cents francs-là nous mettre à la porte de chez nous… Alors – vous comprenez ? – je tâche de trouver la Fée des neiges, et je la prierai, si je la trouve, de me donner cet argent qu’on nous réclame. »
Le minotier haussa les épaules, toussa trois ou quatre fois, se gratta un peu le bout du nez, puis déclara d’un air très cassant :
« Écoute… Je veux que tu rentres – et tout de suite – à Audun. La nuit ne tardera guère à venir : tu périras de froid sur cette route, on les loups te croqueraient. »
Il montra, du bout de son fouet, un lointain village bâti contre le flanc d’une colline.
« On m’attend là, Beauchâteau, et il m’y faut aller au plus vite ; mais je repasserai dans une heure, et, si je te retrouve ici, gare à toi ! »
Cela dit, il toucha légèrement son cheval qui partit comme une flèche.
« Non certes, pensa Claudine, je ne retournerai pas au logis, sans t’avoir vue, ô bonne fée ! »
Elle se leva, essaya de marcher… Peine perdue. Ses jambes, maintenant, refusaient de se mouvoir : toute raide et engourdie, elle tomba après quelques pas, et force lui fut, en conséquence, de ramper à nouveau vers le tronc d’arbre.
Une fois là, un invincible besoin de dormir s’empara d’elle. Sachant bien que, lorsqu’on s’endort dans la neige, on risque de ne plus jamais s’éveiller, elle résistait de son mieux au sommeil, redressait avec courage la tête, et travaillait à garder les yeux ouverts. Mais c’était en vain qu’elle luttait : son front, finalement, s’inclina ; un voile s’étendit sur ses paupières, et elle s’affaissa en murmurant :
« A mon secours, Fée des neiges ! »
… Or, avec une voix plus suave que la plus douce musique, quelqu’un répondit à l’instant même :
« Gentille Claudine, me voici. »
Et, vêtue d’une robe éblouissante, une femme apparut, très radieuse. Mieux que la pleine lune luisait son regard, et, chaussés de brodequins blancs, ses pieds touchaient à peine le sol.
« Est-ce vraiment vous, ô Fée des neiges ?
- Vraiment moi, petite amie… Veux-tu que je t’emporte dans mon palais ?
- Oui, madame. »
La fée saisit entre ses bras la fillette, et partit, tourbillonnante. Sa tête fendait les nuages ; sa robe, qui s’était soudain allongée d’une façon prodigieuse, traînait à la surface de la terre, et tout ce que le bas de cette robe effleurait (les champs, les toits, les clochers, les routes) se poudrait aussitôt d’une poussière éclatante. On filait aussi vite que l’éclair, et, tout à coup, lumineux sous le ciel terriblement sombre, un palais brilla à l’horizon. Claudine franchit un porche immense, puis se trouva au centre d’une salle claire et gigantesque.
Les murailles étaient faites avec des quartiers de glace ; attaché à un fil d’argent, un astre pendait à la voûte ; un tapis de neige très pure amortissait le bruit des pas ; il y avait quatre vitraux où le givre traçait d’admirables arabesques, et que traversaient parfois des rayons d’or ou d’écarlate. Le lieu, en résumé, était d’une magnificence qu’on ne peut dépeindre, mais il y faisait bien froid.
C’est ici, expliqua la fée, ma demeure… La lanterne qui se balance là-haut, c’est, Claudine, l’étoile du Nord ; la clarté qui illumine mes fenêtres provient de l’aurore boréale, et la neige sur laquelle tu marches, personne, avant toi, ne l’a foulée… »
L’enfant ouvrait de grands yeux et ne se lassait point de contempler ces merveilles. Mais la blanche dame la tira la manche et lui dit en souriant : « N’as-tu pas faim, ma jolie ?... Que vais-je t’offrir ?... Des glaces ? Des œufs à la neige ?
- Merci, non.
- Amuse-toi donc un peu : fabrique un bonhomme de neige, ou fais des glissades sur mon parquet.
- Je n’ai pas envie de jouer… Mon cœur est triste, madame, à cause de…
- Oui, oui, je sais… tiens, l’argent dont ta mère a besoin, je le mets dans la pochette de ton tablier. Et maintenant, mignonne, que désires-tu encore ?
- Que vous me rameniez à la maison.
- C’est facile. »
Et voilà de nouveau Claudine parmi les nuages. Elle vole en un clin d’œil au-dessus des océans, des plaines, des villes, reconnaît bientôt l’église et la mairie d’Audun-le-Roman, et rentre chez elle par la cheminée.
« Etends-toi, dit la fée, sur ta couchette, et reçois – adieu, Claudine ! – mes baisers d’adieu. »
… Juste à ce moment les yeux de la petite se rouvrirent : elle avait chaud ; elle était dans son lit ; un flambeau brûlait à son chevet, et, penchée sur elle, sa maman l’embrassait avec transport.
« Ah ! chérie, disait-elle, quelle affreuse inquiétude tu m’as donnée ! Pourquoi es-tu partie sans m’avertir ? D’où viens-tu ? Et qui donc, pendant que je te cherchais au dehors, t’a conduite ici tout endormie ?
- C’est, par les routes du ciel, la Fée des neiges.
- Cesse, ma reine, de délirer.
- Mais je ne délire nullement. J’ai vu la fée comme je vous vois ; je lui ai parlé comme je vous parle ; elle m’a reçue dans son blanc palais, et la preuve…
- Allons, calme-toi, reprends tes esprits.
- Et la preuve, c’est qu’elle m’a donné de qoui payer notre dette… Vous ne me croyez pas ?
- Petite folle !
- Eh bien ! cherchez dans ma poche. »
Par complaisance, la maman chercha, et aussitôt (je n’invente rien, et c’est, ma foi, la vérité même) sa main retira de la pochette quelque chose qui luisait et tintait, - cinq pièces d’or.
… Dès le lendemain, on rendit à M. Stanilas Heermann ce qu’il avait prêté, et non seulement la cabane ne fut pas vendue, mais l’argent se mit à affluer : des sommes énormes, trois francs par jour ! D’où venaient ces trois francs ? De M. Gilbert Troismaisons, qui avait offert à Mme Mercy une place d’intendante en ses cuisines, qui nourrissaient jusqu’à cinquante ouvriers. La veuve viellait donc sur la cave et les fourneaux, et Claudine, pendant ce temps, allait à l’école, ou sautait à la corde sous les tilleuls, devant la minoterie.
Parfois, rencontrant la fillette, le patron lui demandait :
« Crois-tu toujours aux fées, l’ingénue ? »
Elle répondit :
« Oui, certes ! »
Alors M. Troismaisons s’en allait en riant, et, si on le priait de dire pourquoi il riait, il refusait de faire connaître ses raisons.
Mais on les devine, n’est-ce pas ? et il est manifeste que c’était lui qui, revenant de Beauchâteau à Audun-le-Roman, avait rapporté l’enfant chez elle. Les cent francs, c’était lui encore qui les avait glissés dans la poche du tablier. Quant à tout le reste – l’apparition de la Fée des neiges, le palais où scintille l’étoile polaire, les deux voyages à travers les nues, - endormie sur le tronc d’arbre, la naïve Claudine l’avait rêvé.

Ivan d’URGEL
 
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