ÂÎÉÄÈÒÅ, ×ÒÎÁÛ ÍÀ×ÀÒÜ ÎÁÓ×ÅÍÈÅ Ñ ÀÓÄÈÎ-ÇÀÏÈÑÜÞ

016 Livre
Des contes et légendes
014 La Belle aux cheveux d'or
Conte

La Belle aux cheveux d'or

Début

4
Enfin, il arriva proche du château de Galifron ; tous les chemins étaient couverts d'os et carcasses d'hommes qu'il avait mangés ou mis en pièce. Il ne l'attendit pas longtemps, qu'il le vit venir à travers bois. Sa tête passait les plus grands arbres, et il chantait d'une voix épouvantable :

Où sont les petits enfants,
Que je les croque à belles dents ?
Il m'en faut tant, tant et tant,
Que le monde n'est suffisant.

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :

Approche : voici Avenant,
Qui t'arrachera les dents.
Bien qu'il ne soit pas des plus grands,
Pour te battre il est suffisant.

Les rimes n'étaient pas bien régulières ; mais il fit la chanson fort vite, et c'est même un miracle qu'il ne la fît pas plus mal, car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et il aperçut Avenant l'épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l'irriter. Il n'en fallut pas tant : il se mit dans une colère effroyable, et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu'il les creva. Son sang coulait sur son visage ; il était comme un désespéré, frappant de tous côtés. Avenant l'évitait et lui portait de grands coups d'épée qu'il enfonçait jusqu'à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang qu'il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d'avoir été si heureux ; et le corbeau, qui s'était perché sur un arbre, lui dit : "Je n'ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l'aigle qui me poursuivait ; je vous promis de m'en acquitter : je crois l'avoir fait aujourd'hui.
- C'est moi qui vous doit tout, monsieur du Corbeau, répliqué Avenant , je demeure votre serviteur.
Il monta aussitôt à cheval, chargé de l'épouvantable tête de Galifron.
Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait et criait : "Voici le brave Avenant qui vient de tuer le monstre ;" de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit et qui tremblait qu'on ne lui vînt apprendre la mort d'Avenant, n'osait demander ce qui lui était arrivé ; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu'il n'y eût plus rien à craindre.
"Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort ; j'espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître ?
- Ah ! si fait, dit la Belle aux Cheveux d'Or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m'apporter de l'eau de la grotte ténébreuse. Il y a proche d'ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour ; on trouve à l'entrée deux dragons qui empêchent qu'on y entre ; ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux ; puis, lorsqu'on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé : c'est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu'on en lave devient merveilleux : si l'on est belle, on demeure toujours belle ; si l'on est laide, on devient belle ; si l'on est jeune, on reste jeune, si l'on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter.
- Madame, lui dit-il, vous êtes si belle que cette eau vous est bien inutile ; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais vous aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n'en pouvoir revenir."
Le Belle aux Cheveux d'Or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriole, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l'eau de beauté. Tous ceux qu'il rencontrait sur le chemin disait : "C'est une pitié de voir un garçon si aimable s'aller perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte, et quand il irait lui centième, il n'en pourrait venir à bout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que des choses impossibles ?" Il continuait de marcher, et ne disait pas un mot, mais il était bien triste.
Il arriva vers le haut d'une montagne où il s'assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et courir Cabriole après les mouches. Il savait que la grotte ténébreuse n'était pas loin de là, il regardait s'il ne la verrait point ; enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l'encre, d'où sortait une grosse fumée, et au bout d'un moment un des dragons, qui jetait du feu par les yeux et par la gueules : il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. Cabriole vit tout cela ; il ne savait où se cacher, tant il avait peur.
Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d'Or lui avait donnée pour la remplir de l'eau de beauté. Il dit à son petit chien Cabriole : "C'est fait de moi ! je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons ; quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang, et la porte à la princesse, pour qu'elle voie ce qu'elle me coûte ; et puis va trouver le roi mon maître et lui conte mon malheur."
Comme il parlait ainsi, il entendit qu'on l'appelait : "Avenant ! Avenant !"
Il dit : "Qui m'appelle ?" et il vit un hibou dans le trou d'un vieux arbre, qui lui dit : "Vous m'avez retiré du filet des chasseurs où j'étais pris, et vous me sauvâtes la vie ; je vous promis que je vous le revaudrais : en voici le temps. Donnez-moi votre fiole : je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse ; je vais vos quérir de l'eau de beauté."
Dame ! qui fut bien aise ? je vous le laisse à penser. Avenant lui donna la fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d'un quart d'heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant fu ravi ; il le remercia de tout son cœur, et, remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.

5
Il alla droit au palais ; il présenta la fiole à la Belle aux Cheveux d'Or, qui n'eut plus rien à dire : elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu'il lui fallait pour partir ; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable, et elle lui disait quelquefois : "Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi ; nous ne serions point partis de mon royaume." Mais il répondit : "Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil."
Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui sachant que la Belle aux Cheveux d'Or venait, alla au-devant d'elle et lui fit les plus beaux présent du monde. Il l'épousa avec tant de réjouissances, que l'on ne parlait d'autre chose ; mais la Belle aux Cheveux d'Or, qui aimait Avenant dans le fond de son cœur, n'était bien aise que quand elle le voyait, et le louait toujours. "Je ne serais point venue sans Avenant, dit-elle au roi ; il a fallu qu'il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous lui devez être obligé ; il m'a donné l'eau de la beauté, je ne vieillirai jamais, je serais toujours belle."
Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi : "Vous n'êtes point jaloux, et vous avez sujet de l'être. La reine aime si fort Avenant qu'elle en le boire et le manger ; elle ne fait que parler de lui et des obligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriez envoyé n'en eût pas fait autant."
Le roi dit : "Vraiment, je m'en avise ; qu'on aille le mettre dans ma tour avec les fers aux pieds et aux mains."
On prit Avenant, et, pour sa récompense d'avoir si bien servi le roi, on l'enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un toué, et de l'eau dans une écuelle en terre. Pourtant son petit chien Cabriole ne le quittait point ; il le consolait et venait lui dire toutes les nouvelles.
Quand la Belle aux Cheveux d'Or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, songeant : "C'est qu'elle l'aime" et il n'en voulut rien faire. Elle n'en parla plus : elle était bien triste.
Le roi s'avisa qu'elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l'eau de beauté, afin que la reine l'aimât plus qu'elle ne faisait. Cette eau était dans une fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine, elle l'avait mise là pour la regarder plus souvent ; mais une de ses femmes de chambre voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l'eau fut perdue. Elle balaya vitement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu'elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable pleine d'eau claire comme était l'eau de beauté ; elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.
L'eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau : ils s'endormaient, et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roi prit la fiole et se frotta bien le visage, puis il s'endormit et mourut. Le petit chien Cabriole l'apprit des premiers et ne manqua pas de l'aller dire à Avenant, qui lui dit d'aller trouver la Belle aux Cheveux d'Or et la faire souvenir du pauvre prisonnier.
Cabriole se glissa doucement dans la presse ; car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine : "Madame, n'oubliez pas le pauvre Avenant." Elle se souvint aussitôt des peines qu'il avait souffertes à cause d'elle et de sa grande fidélité. Elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d'Avenant, et, lui mettant une couronne d'or sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : "Venez, aimable Avenant, je vous fais roi et vous prends pour mon époux."
Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l'avoir pour maître. Il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux Cheveux d'Or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux furent heureux et satisfaits.

MORALITÉ

Si par hasard un malheureux
Te demande ton assistance,
Ne lui refuse point un secours généreux :
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
Quand Avenant, avec tant de bonté,
Servait carpe et corbeau ; quand jusqu'au hibou même,
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
Il conservait la liberté :
Aurait-on pu jamais le croire,
Que ces animaux quelque jour
Le conduiraient au comble de la gloire,
Lorsqu'il voudrait du roi servir le tendre amour ?
Malgré tous les attraits d'une beauté charmante,
Qui commençait pour lui de sentir des désirs,
Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs,
Une fidélité constante.
Toutefois, sans raison, il se voit accusé :
Mais, quand à son bonheur il paraît plus d'obstacle,
Le ciel lui devait un miracle,
Qu'à la vertu jamais le ciel n'a refusé.