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016 Livre
Des contes et légendes
054 L'histoire de Mahurec
Conte

L'histoire de Mahurec

Aux beaux soirs d'été, pendant les longues traversées, les matelots aiment à se réunir sur le tillac, et à narrer, sous les étoiles, quelque aventure de leur vie errante, ou une des jolies légendes qu'ils ont apprises dans leur jeune âge... Ils ont alors une habitude : afin de savoir si les auditeurs ne s'endorment pas au bercement des vagues, le conteur dit soudain : Cric !
Et les matelots qui s'intéressent à l'histoire doivent aussitôt répondre : Crac !
Or ce soir-là on donna la parole à Mahurec, qui avait de l'imagination, et qui commença en ces termes :
"L'aventure que je vais vous raconter, mes enfants, ne date pas d'hier. Je naviguais alors sur le Goéland, bon navire marchand, fin marcheur, et qui nous promenait parmi des mers de glace où il faisait si froid, que la fumée des pipes gelait dans l'air - aussi vrai que je suis parmi vous ce soir. - Cric !
- Crac ! répondit l'auditoire en choeur.
- Un jour, continua Mahurec, le capitaine me fait appeler et me dit :
"Mahurec, tu es un garçon habile, et je vais te donner une mission de confiance... Nous manquons d'eau douce... Tu prendras avec toi Cadillac ; vous descendrez tous les deux sur l'île qu'on aperçoit là-bas, et vous me rapporterez cette barrique pleine. Est-ce bien compris ?
- C'est compris, mon capitaine.
Nous voilà donc partis. Nous ramons vers la terre... Cadillac, toujours gai, chantait une chanson de son pays, si bien que, faute d'attention, comme il tenait le gouvernail, il nous mène droit sur un rocher et crève notre barque... Cric !
- Crac ! firent toutes les voix.
Mahurec reprit aussitôt :
"Le capitaine va se fâcher, s'écria Cadillac... Abordons et réparons vite l'avarie !"
Nous tirons la barque à terre, nous l'appuyons la coque en l'air, et, sur le conseil de Cadillac, nous nous mettons à déjeuner pour nous donner des forces.
Le camarade avait pris ses précautions, et je ne sais pas où il avait découvert toutes les friandises qu'il nous servit... Tout à coup, je le vois pâlir.... Il se met à trembler, les mots ne sortent plus de ses lèvres, et tout ce que qu'il peut faire, c'est de me montrer, en étendant le bras, deux ours blancs énormes qui s'avancent tranquillement vers nous...
Je bondis aussitôt, je saisis mon matelot par le bras, et nous nous précipitons derrière la coque, tandis que, sans se presser, les maudits ours arrivent à notre place et achèvent notre déjeuner...
Cadillac était indigné... Il les traitait de voleurs, de bandits, de scélérats. Il avait du reste retrouvé son sang-froid et cherchait un moyen de nous tirer de là.
"J'ai trouvé, s'écria-t-il tout à coup... Attention ! Mahurec."
- J'y suis, matelot, répondis-je.
- Alors... pousse !"
Nous poussons, le canot se renverse, et nos deux ours, se trouvent pris dessous, comme un vulgaire rat dans une souricière. Quelle joie, mes amis !
Nous nous hissons sur la quille, et... Cric !"
Mahurec ne remarqua pas que les "Crac" étaient moins nombreux, et continua :
"Nous nous mettons à danser... Hélas ! notre gaîté ne fut pas de longue durée. Cadillac avait repris sa chanson, lorsque, tout à coup, le canot vacille, et v'lan ! nous voilà tous les deux à terre !
Ah ! nous fûmes vite relevés.. Nous prîmes nos jambes à nos cous... et nous voilà à détaler à toute vitesse... et à grimper aussi haut que nous pûmes sur les pics de glace qui nous environnaient.
Quand nous nous crûmes en sûreté, nous osâmes enfin regarder, et ce fut un curieux spectacle que celui qui frappa nos yeux.
Les deux ours s'étaient relevés, mais, n'ayant pu se dégager, ils marchaient en portant le canot sur leur dos. Ils semblaient ainsi une énorme tortue à huit pattes, espèce très rare, comme vous savez - puisqu'elle n'existe pas !
Notre pauvre barque disparut bientôt dans le lointain. Jamais nous ne la revîmes - et ce n'est que deux jours après que le capitaine, inquiet sur notre sort, nous envoya chercher...
Mon histoire est finie... Cric !..."
Mais personne ne répondit : "Crac !"
Alors Mahurec, sans s'émouvoir, voyant que tout le monde sommeillait, s'étendit sur le pont, et s'endormit aussi...
Il rêva que l'histoire qu'il avait racontée était arrivée.

Jean CASTINE