016 Livre Des contes et légendes |
049 L'Été de la Saint-Martin Conte |
L'Été de la Saint-Martin Dès les premiers jours de novembre, la bise avait soufflé, et les montagnes s'étaient couronnées de neige. Aux rameaux dépouillés des arbres s'accrochaient déjà de petits glaçons, miroitant comme de beaux diamants, sous le pâle soleil, un soleil froid d'hiver. Le manoir, placé sur un coteau, faisait une tache sombre dans la campagne enveloppée de son linceul d'hermine. Des corbeaux, par bandes, croassaient en traversant le ciel, au-dessus des toits d'où montait une fumée bleue. Seules, les cheminées des pauvres gens restaient sans feu. Or un matin, le pont-levis s'abattit et livra passage à un petit garçon, qui se dirigea vers un village dont on apercevait au loin les maisons. Il était emmitouflé dans un manteau de fourrure ; sa coiffure était rabattue sur les oreilles, et ses mains glissaient frileusement dans les manches pour fuir la froidure. Il portait au bras un panier. Parfois il s'arrêtait sur le chemin, balayait la neige de son pied, et émiettait du pain. "C'est la part des oiseaux, murmurait-il. Comme ces petites bêtes doivent souffrir ! Ah ! s'ils osaient venir me trouver au château, comme je leur ouvrirais bien ma fenêtre : il flambe un si bon feu dans ma chambre !" Puis il allait plus loin et s'arrêtait encore pour jeter la pâture aux rouges-gorges et aux pinsons, qui pépiaient mélancoliquement sur les branches. Tout à coup, une plainte frappa son oreille... Il courut vite,... vite... et aperçut... Ah ! quel triste spectacle ! Une fillette de son âge était étendue sur un tas de pierres, au bord du chemin. Elle était vêtue d'une chemisette en lambeaux, à travers laquelle on voyait sa chair bleuie par le vent glacé... Ses dents claquaient... et comme elle pleurait, la pauvre ! "Quel malheur ! s'écria le jeune garçon qui lui prenait les mains pour les réchauffer dans les siennes. Pourquoi es-tu dehors par ce temps-là, et presque nue ? N'as-tu point de robe ? - Hélas ! murmura l'enfant... Nous sommes si malheureux, chez nous ! Ma mère est au lit, malade... Nous sommes sans feu ni pain. Comme je sais que la dame du château est bonne, j'allais la supplier de nous secourir ; mais, j'ai les pieds meurtris, et je suis glacée... Je ne puis plus marcher..." Le petit châtelain n'hésita pas. "Écoute-moi, dit-il. Je courais les champs pour donner à manger aux oiseaux. J'avais mis quelques friandises pour moi dans le panier. Prends tout, et porte-le chez toi. Attends encore... Couvre-toi avec ceci." Et, tout en parlant, il quittait son beau manteau, et le jetait sur les épaules de la fillette. "Je ne veux pas ! répondait celle-ci. Vous auriez froid." - Prends ; je marcherai vite pour me réchauffer... Attends ! ajouta-t-il en retirant son bonnet de fourrure, mets encore ceci sur ta tête... - Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Mais le petit garçon s'était enfui en disant : "J'irai te voir." Alors, la fillette émerveillée s'en fut vers le village. Et c'était maintenant le petit châtelain qui semblait l'enfant pauvre, car il allait, la tête et les bras nus, entre les haies couvertes de givre et de frimas. Mais, ô prodige ! pour l'enfant, soudain la brise devint plus tiède, et le ciel s'éclaircit ; comme par enchantement la neige disparut de la terre, et se changea sur les branches en fleurettes blanches ; le printemps semblait renaître... L'air se parfuma de roses, les bourgeons étaient près d'éclore. Une fauvette chantait sur un églantier dont les boutons s'ouvraient ; l'herbe s'étoilait des corolles dentelées des marguerites. Et le gentil garçon revint au château par un sentier de fleurs, sous un soleil rayonnant. Le petit châtelain s'appelait Martin. Il fut plus tard évêque de Tours, et son inépuisable charité l'a rendu populaire. Chaque année, en souvenir de sa bonne action, le miracle se renouvelle, et vers le milieu de novembre, la nature se pare comme au renouveau. C'est ce que l'on appelle l'Été de la Saint-Martin. J. JACQUIN |