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016 Livre
Des contes et légendes
057 Jean la Fourche
Conte Breton

Jean la Fourche - Conte Breton

Un bon vieux grand-père, un soir de Noël, racontait à ses petits-enfants, près du feu rassemblés, l'histoire suivante :
"Dans un petit village breton, non loin de Quimper, habitait, il y a bien longtemps, un riche fermier, le plus cossu des environs, mais avare, avare à tondre, comme dit le proverbe, une puce pour en avoir la peau. Astucieux et méchant, il furetait partout comme un renard, enlevant de ses doigts crochus, ce qu'il pouvait voler sans être vu. Méprisé de tous, Jean la Fourche (ainsi l'avait-on nommé) vivait en vrai loup dans sa grande maison blanche. Sans famille, sans ami, sans même un chien, l'avare se plaisait dans sa morne solitude. Quel plaisir de contempler le soir, à la tremblante lueur d'une chandelle fumeuse, les sacs d'écus au ventre rebondi, - dont le sonore tintement gazouillait une argentine chanson aux oreilles ! Oh ! oui, l'avare l'aimait, cette musique des jaunets d'or et des pièces blanches ! Il restait des heures entières dans le sombre caveau où se cachait sa richesse, il demeurait accroupi sur ses genoux lassés, sans feu, par le froid de décembre ! sans flamme pour égayer la triste demeure léguée par ses pères !
"Un jour pourtant le froid devint si vif, que Jean la Fourche se décida, la mort dans l'âme, à mettre en son foyer glacé quelques gros rondins de hêtre qu'il comptait pourtant bien vendre à la ville voisine.
"Pendant qu'il songeait, près de son maigre feu où fumait un pâle tison, une idée germa en son cerveau d'avare. Un rire silencieux entrouvrit ses lèvres émaciées ; et quittant son escabeau boiteux, il ferma soigneusement la porte de son logis, puis s'assurant que les environs étaient déserts, Jean la Fourche, comme un renard, s'insinua dans l'enclos de son voisin, Jérôme Kernec.
"Le soir tombait déjà, - un triste soir de décembre. Tout à coup une envolée joyeuse des cloches du village ébranla l'air glacé, et comme un écho lointain mille tintement se répercutèrent par les champs et les bois. C'était la veille de Noël ! la veille de la nuit sainte ! Tout le monde étant affairé, nul ne remarqua l'avare qui, sans scrupules ni remords, visitait les coins et les recoins de la propriété de Jérôme.
Entassés les uns sur les autres, formant une large plate-forme, des fagots, bien secs, protégés par une épaisse couche de chaume, s'étalaient dans l'enclos de Jérôme (un honnête paysan renommé pour sa bienfaisance).
Et la nuit tombait toujours, de plus en plus noire, se faisant ainsi la complice du vol que méditait Jean la Fourche.
Juché sur le tas immense, l'avare fébrilement s'emparait des plus beaux fagots, les lançait par-dessus le mur jusqu'en son propre terrain, - non sans jeter un regard furtif, de temps à autre, - pour être certain de n'être pas surpris. En vain sa conscience révoltée lui reprocha son crime, en vain la peur lui tortura-t-elle le cœur ; le démon du mal lui sifflait toujours :
"Prends encore ! prends, le tas est bien assez grand !" Et déjà douze fagots manquaient sur l'amoncellement. Le voleur allait partir quand, à ses pieds, pendant qu'il descendait prudemment de la plate-forme, un énorme fagot vint rouler, laissant voir une grosse branche de chêne arrachée à quelque tronc géant. Un éclair d'envie brilla dans l'œil gris de l'avare et Jean la Fourche, la sueur au front, chargea sur ses épaules le lourd fardeau ! Il aurait donc, lui aussi, la traditionnelle bûche de Noël ! - Pourtant, la force lui manquant, il allait laisser choir son fagot, quand un homme noir le toucha au bras et, chose singulière, Jean la Fourche ne sentit plus sa fatigue, la bûche énorme ne pesait pas plus qu'une plume sur ses épaules ! Sans se soucier de l'homme noir qui le suivait toujours, le voleur arriva au seuil de sa porte, toujours chargé. Tout à coup une force irrésistible l'enleva de terre. Au moment même une nouvelle sonnerie de cloche lui clama : "Maudit ! va-t'en !" Et il monta ! monta toujours ! poursuivi par les huées des cloches, il monta, les épaules meurtries par ce fagot du diable qui lui broyait les os ! Traversant les étoiles en feu, brûlé par leurs étincelantes clartés, Jean la Fourche monta toujours plus haut dans le vide immense du firmament noir. Et ses plaintes étaient si fortes qu'on entendait sa voix lamentable de la Terre ! Tout à coup un globe géant parut à ses yeux dilatés par la peur.
Aveuglé par une lumière crue, poussé toujours par la même force, l'avare puni par le ciel même, s'engouffra dans le disque qui n'était autre que la "Lune".
- Mes enfants, continua le bon grand-père, quittez un instant la maison, sortons ensemble et regardons le firmament si clair ce soir : Voyez-vous (vos yeux sont meilleurs que les miens), un être étrange, noir, hérissé qui s'agite dans l'astre des nuits ? Et bien, c'est Jean la Fourche qui se tourne et se retourne comme un damné, portant à perpétuité le bois volé à son voisin ! c'est le voleur et son fagot que vous y voyez, enfants. Mme la Lune est tenace ; elle ne rend pas ce qu'elle prend ! Que ceci, mes chers petits, vous serve de leçon et vous fasse respecter le bien d'autrui ! Sur ce, allons nous coucher et laissons Jean la Fourche se débattre dans la Lune ! Elle ne se laissera pas voler, elle !

Paul LORANS