016 Livre Des contes et légendes |
088 Fleur de Grenade Conte Indien |
Fleur de Grenade Conte Indien Le radjah Anarbara avait été heureux pendant sept ans, grâce aux vertus de son épouse. La mort, jalouse de tant de bonheur, lui ravit Gulianar, ainsi se nommait-elle. Ce mot signifie Fleur de Grenade. Mais en quittant ce monde, elle y laissa deux charmants enfants. Anarbara portait depuis un an le deuil de son épouse chérie, lorsqu'il reçut d'un prince voisin un message ainsi conçu : "Mon frère, ma fille Sunkasi vient de terminer le deuil de son époux et si elle te plaît, je m'empresserai de t'accorder sa main." Anarbara épousa la jeune veuve. Tout alla bien pendant trois mois, puis tout changea : les deux pauvres enfants devinrent pour leur belle-mère l'objet d'une aversion profonde. Un jour elle les avait battus si fort qu'ils avaient la tête enflée et les mains en sang. Leur père s'en aperçut et leur demanda qui les avait mis dans cet état. - C'est maman, répondirent-ils tous deux ensemble, comme s'ils n'avaient qu'une seule voix ; elle nous bat tous les jours, et pourtant nous bien obéissants. Ces paroles lui inspirèrent quelque aversion contre son épouse. Pendant plusieurs jours il refusa de la voir : elle prit le parti de faire disparaître les deux petits enfants auxquels elle attribuait le malheur d'avoir déplu à son mari. Elle les confia à un intendant en lui donnant l'ordre de les emporter dans la forêt et de les mettre à mort. L'intendant prit le petit garçon d'une main, la petite fille de l'autre, et les emmena. Chemin faisant, il passèrent près du tombeau de leur mère, et lui demandèrent de les laisser dire une prière en cet endroit. Il y consentit, et le petit garçon dit : "Chère maman, nous avons grand besoin de ton secours." Et aussitôt apparut une figure lumineuse d'une grande beauté qui planait entre les colonnes du tombeau ; elle s'approcha des deux enfants, les prit par la main et les conduisit à l'intérieur de l'édifice. L'intendant retourna au palais et dit qu'il les avait tués ; la marâtre le récompensa magnifiquement. Mais les deux enfants vivaient dans le tombeau ; avec l'âme de leur mère ; leur dieu protecteur accorda même à celle-ci de revenir complètement à la vie, afin qu'elle pût s'occuper d'eux. Le radjah, n'ayant pas vu ses enfants depuis plusieurs jours, demanda de leurs nouvelles à la méchante reine qui s'empressa de lui en donner : - Ils sont allés se promener dans la forêt et ils ont été dévorés par un tigre. Hélas ! Elle crut même devoir verser quelques larmes. Le prince, qui l'observait attentivement, vit que ces larmes étaient feintes, sa colère redoubla et il lui ferma désormais son cœur. Sunkasi, très fâchée de cette brouillerie avec son époux, fit venir un fakir ou solitaire célèbre ; elle lui demanda comment elle pourrait récupérer l'affection de son mari. Le fakir lui dit : - Tu crois que les deux enfants ont été mis à mort, il n'en est rien ; tous deux vivent et habitent le tombeau de leur mère. Sans perdre une minute, la méchante belle-mère envoya un homme de confiance tuer les deux enfants ; et commanda à l'homme de lui apporter les petits corps ; elle les enterra dans le jardin, et se réjouit. Le soir même de son forfait, elle se mit à la fenêtre, pour contempler l'endroit, où ils étaient ensevelis. Et voilà que, sur cet endroit même, s'élevait un magnifique grenadier, qui portait seulement deux fleurs. - Quelles belles fleurs ! dit la reine, je vais les couper, pour en orner ma chevelure. Elle descendit au jardin et étendit le bras pour cueillir les fleurs , mais, chose étrange, les fleurs se dérobaient et fuyaient sa main. Cela lui ayant donné à penser : elle commanda qu'on abattît l'arbre et qu'on le brûlât. Les jardiniers exécutèrent aussitôt cet ordre. Le lendemain matin, à la même place, l'arbre était là avec ses deux fleurs. Elle eut envie de ces fleurs ; elle étendit la main, les fleurs lui échappèrent de nouveau ; elle commanda que l'arbre fût abattu et brûlé, on obéit ; l'arbre reparut. La reine s'indigna de cette résistance. Elle alla trouver le radjah et lui dit : - Seigneur, n'êtes-vous pas le maître absolu dans toute l'étendue de votre empire, et tout ne doit-il pas vous céder ? - Explique-toi plus clairement, répondit Anarbara. - Je veux dire qu'il y a dans votre jardin un grenadier d'une très faible hauteur, dont les branches sont à portée de main. Eh bien ! il est impossible d'en cueillir les fruits. - Tu espères par ces paroles me décider à descendre au jardin. Tais-toi, laisse-moi à ma douleur. Et, en disant ces mots, le radjah tourna le dos à sa femme. - Puissant seigneur, dit la princesse sans se déconcerter, vous croyez peut-être que je suis assez audacieuse pour vous raconter un mensonge ; mais accordez-moi seulement la grâce de venir à cette fenêtre, et vous serez témoin de la vérité. Anarbara fit ce qu'on lui demandait : la reine descendit au jardin, s'approcha de l'arbre, étendit la main vers les fruits, et comme auparavant, les fruits s'éloignèrent d'elle. Le radjah, voyant que sa femme avait dit la vérité, descendit à son tour, et étendit les mains sur les deux fruits, et à son grand étonnement, à la stupéfaction de la reine, les fruits, au lieu de fuir, se détachèrent eux-mêmes de la branche et tombèrent dans ses mains. - Ces fruits sont d'une beauté merveilleuse, dit le prince ; pourtant on dirait qu'ils ne sont pas tout à fait mûrs. J'attendrai quelques jours encore. Il retourna dans son appartement et posa les deux grenades sur une tablette à côté de son lit. Comme il ne dormait pas et que la fièvre lui donnait une soif ardente, il prit une des grenades et ouvrant son couteau, il se préparait à en fendre l'écorce. - Papa, je t'en prie, fais bien attention, pour ne pas me blesser. Cette voix partait de l'intérieur du fruit. Il la reconnut : c'était la voix de sa fille. Il ouvrit le fruit avec la plus grande précaution, et la fillette en sortit, pour se jeter au coup de son père bien-aimé. Il délivra son petit garçon de la même manière. Après quoi il renvoya la méchante reine, et ayant averti son beau-père de tout ce qui s'était passé, il le somma de la punir. Et celui-ci, qui était un prince oriental, n'y manqua pas. C. MICHAEL |
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