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016 Livre
Des contes et légendes
059 Demain

DEMAIN

Viens, dit une sœur à son frère, viens courir dans les près en fleur. Nous disputerons aux papillons les fleurs odorantes aux corolles de pourpre ou d'azur, et nous en ferons des gerbes qui rempliront notre maison de doux parfums. Allons ; le printemps qui s'en va ne nous offrira plus de journée aussi belle.
- Le printemps n'est pas contenu en un jour, reprit le frère, nous jouirons d'heures non moins agréables que celles de ce moment et demain je serai disposé à une promenade dans la prairie.
- A demain donc, conclut la sœur. Mais, avec l'aube nouvelle, une troupe de moissonneurs parut dans la plaine et bientôt la verte parure des près, tranchée par les faux, se flétrit au soleil.
"Descendons ce soir dans le parc, proposa la sœur. Les rossignols y donnent leur concert et, l'un après l'autre, ils font éclater leur chant dans le silence de la nuit. Viens ; partageons le plaisir de les écouter ; hier, j'étais seule à les entendre et je regrettais ton absence.
- Ce soir ? l'air est bien frais ! Demain la soirée sera plus douce."
Le lendemain l'air était plus frais encore et les rossignols, gardant leurs chansons pour une saison meilleure, se taisaient.
"Ferons-nous aujourd'hui une promenade en mer ? demanda la sœur. La barque est prête ; le vent nous poussera sans fatigue et sans peine et ceux qui, de la rive, regarderont notre esquif aux voiles déployées, croiront voir un oiseau fantastique volant à la crête des vagues.
- Oui, nous irons ; mais nous irons demain. En ce moment, j'ai plus besoin de repos qu'une promenade en mer !
Pendant la nuit, une tempête s'éleva qui bouleversa l'Océan et jeta sur la grève les débris de la barque brisée.
"Voici nos projets emportés, dit la sœur ; mais ne nous plaignons pas alors que nos voisins sont en deuil. Jean, le pêcheur, est mort et l'océan meurtrier a rapporté son cadavre à sa veuve et à ses enfants désespérés. Allons leur porter nos secours, nos consolations. Ils sont pauvres et, dans leur détresse, ils ont besoin de sentir un appui.
- Attendons, répondit le frère que la première douleur soit apaisée ; en ce moment ils ne nous entendraient même pas.
Ils attendirent, ils attendirent et lorsqu'ils vinrent, les mains pleines pour visiter la veuve, ils trouvèrent le logis désert. Des secours plus prompts que ceux qu'ils apportaient étaient venus enlever au frère et à la sœur l'occasion de faire du bien.
Demain est toujours trop tard.

CH. SCHIFFER (1882)