016 Livre Des contes et légendes |
087 Conte Oriental Parabole de Sendabar |
Conte Oriental Il y avait en Orient un roi réputé par sa sagesse ; il se nommait Cyrus. Ayant un fils inique, qui devait lui succéder, il voulut le faire instruire dans toutes les sciences. Pour cela il rassembla dans un grand festin tous les sages de l'Inde et leur donna de beaux présents. Lorsqu'ils voulurent s'en aller, le roi leur dit : - Choisissez parmi vous mille sages. Ils en choisirent mille. Le roi dit encore : - Choisissez encore cent sages parmi ces mille. Et ils les choisirent. Le roi leur dit encore : - Parmi les cent, choisissez-en sept. Ils les choisirent. Voici quels étaient leurs noms : Sendabar, Hippocrate, Apollonius, Lokman, Aristote, Biber et Oman. Et Sendabar fut choisi dans ces sept-là. Sendabar était le plus savant de tous, et les autres éprouvaient de la jalousie à son égard. Ils cherchaient à le perdre ; ils dirent au roi que son fils n'apprendrait de Sendabar qu'à se taire et à méditer. "Son instruction, disaient-ils, est comme le brouillard, le tonnerre et les éclairs sans pluies ; cela réjouit d'abord le laboureur, mais sa terre reste stérile." Sendabar répondit : - Ne savez-vous pas que la sagesse dans l'homme est comme le musc et l'ambre ! Sitôt que l'on fait couler goutte à goutte de l'eau sur ces parfums, leur odeur se manifeste ; c'est ainsi que l'occasion prouvera que j'ai bien agi. Aristote répliqua : - Il y a trois choses auxquelles on ne peut se fier avant que l'évènement ne les ait rendues certaines : c'est la navigation avant de rentrer au port, la guerre avant de conclure la paix, la maladie avant de renvoyer le médecin. De même il nous est impossible de louer Sendabar avant d'avoir vu son ouvrage. A ces mots d'Aristoste, Sendabar s'irrita et dit au roi : - Si j'instruis ton fils de manière qu'il surpasse en sagesse mes six compagnons, tu m'accorderas la demande que je ferai alors, et si cela n'est pas, tu prendras mes biens et ma vie. Et Sendabar instruisit le jeune homme pendant sept ans. Les sages eurent peur alors, et se dirent entre eux : "Nous devons convenir que Sendabar est sage, et qu'il a tenu parole", mais l'un d'eux suborna une esclave du roi. Elle prétendit que le prince conspirait contre son père pour le détrôner et le mettre en prison. Aussitôt le roi commanda de couper la tête au jeune homme etf de la lui apporter. Sendabar parut devant le roi et lui dit : - Seigneur, qui peut résister à l'astuce des trompeurs et à l'esprit d'une femme ? Vous aussi vous y avez succombé. Permettez que je vous raconte un des traits de leurs inventions. - Parle, lui dit Cyrus. Sendabar dit : - Dans le pays des Maures, il y avait un marchand extrêmement riche, qui envoya son fils sur mer pour aller acheter du bois d'aloès. Le jeune homme arriva au pays de cet arbre. Comme il parcourait le marché, il rencontra un fripon qui lui dit : "- Je connais beaucoup ton père, nous sommes de grands amis, tu ne logeras pas ailleurs que chez moi. "Le jeune homme accepta sans méfiance. Après cela l'homme sortit et alla trouver d'autres fripons : "- Apprenez, leur dit-il, que j'ai dans ma maison un négociant. Venez et voyons ce que nous pourron tirer de lui. "Deux d'entre eux achetèrent du bois d'aloès pour une pièce d'or, puis ils firent du feu avec ce bois, dont l'odeur se répandit dans toute la maison ; ensuite ils dirent au jeune homme : "- Vois-tu, nous avons tant de ce bois que non en faisons du feu toute l'année. "Le jeune homme fut fort content d'apprendre cela. L'homme qui l'avait emmené lui dit : "- Avec ton argent, j'achèterai du bois d'aloès et plusieurs charges d'autres marchandises ; donne-moi cette somme, et comme je connais le pays, j'aurai tout cela à bon compte. Attends-moi devant la mosquée. "Le jeune homme, par précaution, lui demanda un reçu et lui remit tout son argent. Puis tous deux partirent. Quelques temps après, il trouva son homme sur la place, et celui-ci feignit de ne pas le reconnaître. "- Je n'ai jamais vu ni ton père ni toi. "Comme le jeune homme se désolait de sa perte, une vieille femme le tira par la manche et lui dit : "- Raconte-moi la cause de ton chagrin. Peut-être pourrai-je te venir en aide. "Quand elle eut tout appris, elle l'emmena chez elle, et lui donna à manger ; puis elle appela son fils, et lui dit : "- Prends ce jeune homme et conduis-le dans la demeure du vieillard chez lequel ces fripons vont pour le consulter. Ils lui apportèrent du vin et des légumes et lui racontent ce qu'ils on fait dans le jour, et lui leur donne des instructions. "Le jeune homme fit ce que la vieille lui disait, et ayant été introduit secrètement par le fils de la vieille, il écouta attentivement les fripons. "Le principal d'entre eux dit au vieillard : "- Mon maître, j'ai rencontré un Maure. A peine l'ai-je vu, que je lui ai enlevé tout son argent contre un reçu où je lui promets de lui acheter du bois d'aloès et d'autres marchandise. Ne pourrai-je pas acheter de tout cela seulement de quoi remplir un sac ? "Le vieillard répondit : "- Tu as mal fait. Que feras-tu s'il te dit : Remplis-moi mon sac de puces, de manière qu'il y en ait juste la moitié de mâles et la moitié de femelles ? "Le filou répondit : "- Cela ne lui viendra jamais à l'idée. "Le jeune Maure entendit ces propos et sortit. Aussitôt il amena son homme devant le cadi, et celui-ci condamna l'homme à remplir le sac de ce que le jeune marchand demanderait : "- Que te faut-il ? demanda le filou. "Le Maure répondit : "- Je viens du pays de Sedjilmessa, où il n'y a plus une seule puce, c'est pourquoi je veux que tu remplisses mon sac de puces, moitié mâles, moitié femelles. "L'autre dit : "- Je remplirai plutôt ton sac de dattes. "- Non, je veux des puces, dit le jeune homme. "Et comme l'autre ne put tenir son marché, il fut condamné à payer au jeune homme une somme double de celle qu'il lui avait volée. Et en plus il reçut quarante coups de bâton sur la plante des pieds." Sendabar, ayant terminé cette histoire, dit au roi Cyrus : - Tu vois bien que c'est par le conseil d'une femme que le jeune homme reprit son argent. Et si elles savent faire le bien, pourquoi ne feraient-elles pas le mal ? Le roi dit alors aux sages : - Quel parti faut-il prendre à l'égard de cette femme ? Les uns dirent : - Il faut lui couper les mains. Les autres : - Il faut lui crever les yeux. Et Aristote dit : - Il faut la mettre à mort. Alors la femme se leva et dit : - Je ressemble à ce renard qui vint dans une ville pour voir des poulets ; des habitants le virent et lui firent la chasse. Il s'enfuit, mais il ne put sortir, car la porte de la ville était fermée. Alors il pensa : - Si les chiens m'aperçoivent, ils me mettront en pièces. C'est pourquoi il faut que j'aille me placer devant la porte de la ville comme si j'étais mort, et aussitôt que cette porte s'ouvrira devant quelqu'un je m'enfuirait. "Il alla donc se placer devant la porte et fit le mort. Un homme le vit et dit : "- Ce serait une bonne affaire que de rentrer chez moi avec l'oreille gauche de ce renard : les sorcières ne pourront entrer chez moi. "Il tira son couteau et coupa l'oreille gauche. Quant au renard il supporta cela sans bouger. "Vint un autre homme qui dit : "- C'est une bonne chose qu'une dent de renard pour pendre au cou d'un enfant. "Il arracha donc une dent au renard qui supporta ce nouveau mal sans donner signe de vie. "Survint encore un autre homme qui dit : "- C'est un excellent remède contre la peste, que le cœur du renard. "Lorsque le renard entendit ces derniers mots, il se leva et s'enfuit, car il pensa qu'il ne pouvait souffrir ce dernier accident. "Moi aussi je suis dans la position du renard. Quand vous avez dit : Il faut lui couper les mains, il faut lui percer les yeux, j'ai souffert tout cela, mais lorsque vous avez dit : elle doit mourir, alors j'ai raconté ma parabole en votre présence, pour que vous preniez conseil de votre miséricorde." Et le roi lui pardonna, puis il dit à Sendabar : - Demande-moi tout ce que tu voudras, car tu as rempli le devoir dont tu t'étais chargé. Sendabar répondit : - Je ne demande qu'une chose : c'est que tu ne fasses pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît, et que tu aimes ton peuple comme toi-même. Parabole de Sendabar. |
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