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198 Comment Bridoche-Vercingétorix rendit les armes à César-Bonichin |
Comment Bridoche-Vercingétorix rendit les armes à César-Bonichin Ce jour-là, l’école était sens dessus dessous. On était à la veille des vacances de Pâques, et la perspective de rester quinze jours sans se trouver en face du tableau noir, de la carte des départements et du compendium métrique nous causait une certaine joie. Les livres étaient fermés et l’on bavardait. Trois heurs et demie sonnèrent. M. Bobêche - c’était le nom de notre excellent instituteur - se leva, tapa trois petits coups de règle sur son pupitre, et le silence se fit. M. Bobêche toussa, releva ses lunettes, se moucha, et nous parla en ces termes : « Mes enfants, dit-il, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. M. l’Inspecteur d’Académie vient de mettre à ma disposition un billet de voyage qui me permettra, aux grandes vacances, d’envoyer au bord de la mer celui de mes élèves qui se sera montré « le plus fort » en Histoire de France. J’espère que vous rivaliserez de zèle pour conquérir cette magnifique récompense. Nous nous occuperons dès la rentrée, c’est-à-dire dans une quinzaine, du concours qui me permettra de l’attribuer à celui qui se sera le plus distingué. Maintenant, mes enfants, je vous rends la liberté… Bonnes vacances… Amusez-vous bien. » Il se fit un brouhaha, les pupitres claquèrent, et en une minute la classe se vida. Aussitôt des groupes se formèrent dans la cour, et vous pensez si l’on parlait du fameux voyage au bord de la mer. « C’est Pierre Bonichin qui l’aura, criait l’un. - c’est Jean Garrigou, » affirmait l’autre. Il faut dire que Pierre Bonichin, c’était moi. Quant à Jean Garrigou, c’était mon grand adversaire, aussi bien en classe qu’en récréation. En classe, nous nous disputions les premières places. En récréation, lorsqu’on jouait aux barres, nous étions tous les deux chefs de camp, et nous avions des partisans acharnés. D’ailleurs, nous étions les meilleurs amis du monde. Aujourd’hui, il s’agissait d’une partie vraiment intéressante à jouer. Qui donc allait gagner le prix ? L’un de nous, assurément. Mais… lequel ? Jean Garrigou vint me trouver. « J’ai une proposition à te faire, me dit-il. - Parle. - Voici : veux-tu que nous nous réunissions, comme d’habitude, en deux camps, pour jouer aux tableaux vivants. - Ensuite ? - Nous choisirons comme sujets de tableaux des scènes de l’histoire de France. A l’aide de nos camarades, nous tâcherons de les rendre le plus exactement possible. Si tu devines celui que je te présenterais, ce sera à ton tour d’en composer un, sinon je continuerai jusqu’à ce que tu trouves… Il en sera de même pour toi… Celui qui dans trois mois aura deviné le plus, et qui, par conséquent, aura montré qu’il connaît le mieux son histoire, aura gagné. - Je veux bien, mais à deux conditions : la première c’est que M. Bobêche sera notre juge. - Entendu. - La seconde, c’est que nous suivront exactement l’ordre chronologique, sans avoir jamais le droit de revenir en arrière… - C’est dit…, Tope - Tope. » On se donna la main. C’était donc chose convenue. En guise de conclusion, j’ajoutai : « Et celui de nous qui ira à la mer, rapportera de beaux coquillages aux camarades qui nous auront aidés. » M. Bodêche, consulté, trouva l’idée ingénieuse. Il accepta d’être notre arbitre, et il demanda simplement qu’un petit commentaire du tableau fût donné par celui qui le devinerait, pour expliquer à quelle occasion, et à quelle époque, la scène représentée s’était produite… Vous pensez si, pendant quinze jours, chacun de nous se prépara à ce tournoi… Je vous assure que l’on ne nous vit guère, Garrigou et moi, courir les rues et la campagne. Je repassais avec ardeur mon histoire.. Je cherchais des sujets intéressants qui ne fussent pas représentés dans les illustrations de nos manuels. Je tenais des conciliabules avec mes partisans. Il est probable que Garrigou en faisait autant. Au bout de huit jours, on ne parlait plus que du billet de voyage dans toute la commune. On engageait des paris. Le conseil municipal était divisé : le maire tenait pour moi, l’adjoint contre. Le directeur de la fanfare faisait répéter une marche triomphale, pour le jour de la proclamation des résultats. Le matin de la rentrée, mon père me dit : « Si c’est toi qui gagnes, je t’achèterai une bicyclette ! » Une bicyclette !… Mon rêve !… Allons, il fallait remporter la victoire ! « C’est jeudi prochain le premier concours, me dit dès mon arrivée M. Bodêhcee. Nous commencerons par lette alphabétique : Bonichin… Garrigou… C’est vous, Bonichin, qui présenterez le premier tableau. « Je suis prêt, » répondis-je simplement. Le jeudi arriva rapidement. M. Bobêche s’assit au milieu de la cour, plaça à sa droite Garrigou, et autour d’eux les partisans de mon adversaire. Mes troupes étaient prêtes. Bien entendu, je jouais le premier rôle. J’avais attribué le second à Jacques Bridoche, le fils du forgeron, qui avait de grands cheveux blonds frisés qui lui tombaient sur les épaules… Nous nous plaçâmes sous le grand platane. Je m’étais assis sur le dossier du banc, et j’avais adroitement groupé mes camarades, les uns debout, les autres appuyés négligemment. J’avais placé sur ma tête une couronne de feuilles de laurier. Jacques Bridoche, qui avait croisé sur ses pantalons les lacets de ses sandales, et serré sa blouse à la taille par une ceinture, s’avança avec dignité (nous avions bien répété la scène), portant une vieille hampe de drapeau, qui représentait une pique ; deux morceaux de bois en croix, qui représentaient une épée ; et un grand plat rond en fer battu, qui ressemblait vaguement à un bouclier. Arrivé devant moi, il me regarda fièrement, jeta à mes pieds ce qu’il tenait, et croisa les bras. «Très bien ! Bonichin, ne put s’empêcher de dire M. Bobêche. Garrigou, vous avez la parole. » Garrigou se leva ; il avait un sourire narquois. « Autrefois, dit-il, la France s’appelait la gaule, et était habitée par les Celtes, venus du plateau central de l’Asie. Les Gaulois étaient un peuple brave et généreux. Ils étaient habillés de chausses qu’on appelait braies, d’une tunique et d’un ceinturon, et de saies rayées retenues sur l’épaule. Leurs armes étaient : le bouclier, le casque d’airain, le javelot et l’espadon. Ils avaient les cheveux flottants. « Les Romains, peuple guerrier et conquérant, qui avaient à venger les défaites précédentes, et rêvaient d’étendre leur domination sur le monde entier, voulurent conquérir la Gaule. Jules César y réussit avec peine, après une guerre de huit ans. Le chef Gaulais qui se distingua le plus dans la lutte pour l’indépendance des Gaules fut le jeune Averne Vercingétorix, qui, assiégé dans Alésia, dut enfin capituler après une résistance historique (52 av. J.C.). C’est Vercingétorix rendant ses armes à César qu’a représenté Bonichin. » Garrigou se rassit… Bridoche me regarda d’un air navré. Alors M. Bobêcbe inscrivit une note au crayon sur son carnet… « C’est parfait, Garrigou, mon ami, fit-il… Bonichin, il faudra prendre votre revanche jeudi prochain. » C. M. |
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