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016 Livre
Des contes et légendes
004 Caroline en robe de chambre
Histoire

Caroline en robe de chambre

1
- Bonsoir, p'pa ! Bonsoir, m'man !
- Bonsoir, Caroline ! Bonne nuit !
Caroline s'endort dans sa chambre tapissée d'ours et de gugusses en pirouettes.
Caroline s'endort ?
Oh ! ne croyez pas cela.
Ce soir, Caroline n'a pas du tout sommeil. Et c'est Philippe, son voisin de table à l'école de mademoiselle, qui est la cause de son agitation.
Philippe, entre deux additions, a dit, l'autre jour, à Caroline, qu'à la belle saison on pouvait pêcher la lune au bord des étangs. Il l'a lu dans un album que son parrain lui a donné pour sa fête.
Il est même bien ennuyé, le pauvre Philippe, parce qu'il n'y a pas d'étang auprès de sa maison. Qu'il aurait peur de s'en aller seul, la nuit, jusqu'à celui du château !
Mais Caroline, elle, habite une propriété entourée d'un parc bleu, avec des cèdres énormes, des sapins, beaucoup d'autres arbres encore. Et un étang, un étang presque aussi grand que celui du château.
- Tu en as de la chance ! a soupiré Philippe, après avoir fait sa retenue. Toi, au moins, tu peux pêcher la lune chez toi. Je voudrais être à ta place !
- Tu crois ? Tu es vraiment sûr que la lune, ça se pêche comme les poissons ? a demandé Caroline, en arrondissant sa bouche en praline et yeux de porcelaine.
- Si j'en suis sûr ! Je te l'apporterai, le livre de parrain. Tu verras.

Caroline a lu :
Alors Isabelle avait mis sa robe à traîne pour s'en aller promener dans les bois, par une belle nuit de mai. Elle savait que, à cette époque de l'année, quand la lune est haute dans le ciel et se reflète dans les eaux calmes des étangs, on peut la prendre avec un grand filet, tout comme les pêcheurs prennent les poissons dans leur nasse.
Il faut, pour cela, mettre ton plus bel habit, et chanter la chanson magique :

Lune de mon cœur,
Je t'aime, je t'aime.
Viens cette nuit même.
Gram, gram, gram ;
Boule et boule ;
Et boule et gram !

- C'est vrai ! avait alors constaté Caroline, qui avançait dans la vie au milieu des fées, avec la même certitude, la même crédulité avec laquelle les grands marchent au milieu des hommes. Elle était, d'ailleurs, persuadée d'avoir rencontré Cendrillon et Barbe-Bleue, et le Marquis de Carabas. Ces personnages n'étaient-ils pas aussi "possibles" que sa jolie cousine, le méchant cabaretier qui bat sa femme, ou M. de Chaminade, toujours si bien guêtré, le châtelain du pays ?

2
Pêcher la lune! Un magnifique programme pour une nuit de printemps !
Quelle robe allait-elle mettre ? Il y avait, évidemment, celle que maman avait fait faire pour le mariage de Monique. Mais celle-là était rangée dans la lingerie. Et puis, on l'avait raccourcie pour qu'elle soit plus seyante.
La robe à pois rouges, qui a des volants et un fichu croisé ? Courte aussi. Toutes les robes de Caroline sont courtes. Et le livre de Philippe parle d'une robe à traîne.
"C'est tellement plus joli, une robe à traîne !" pense Caroline. Et elle n'a pas de robe à traîne, elle...
Elle réfléchit... réfléchit...
Tout d'un coup, elle aperçoit, sur un fauteuil, sa robe de chambre en foulard rose. Sa robe de chambre qui, bien entendu, lui arrive aux pieds. C'est avec elle que Caroline fait des "mines" devant sa glace. Voilà la toilette idéale pour aller pêcher la lune.
Afin d'assurer sa beauté, Caroline défait les nattes brunes que Nounou tresse chaque soir, après le bain.
Elle est prête. Aussi merveilleuse qu'Isabelle !
La chanson !
Aurait-elle oublié la chanson ? Non.
La porte de la chambre s'ouvre sans bruit : Papa et maman dorment dans la pièce à côté. Passons devant l'office, sans être vue : il se pourrait que Julie soit encore à la vaisselle.

Ouf ! Le jardin ! Le grand, le bleu jardin ! Oui, bleu de lune. Si bleu et si grand que Caroline a peine à s'y retrouver. Et l'allée qui mène à l'étang, unie comme un tapis d'église conduisant la jeune mariée à l'autel.
Elle semble aussi une jeune mariée, dans sa longue robe, Caroline, que le silence de la nuit effraye un peu.
Comme les moindres choses s'entendent, dans ce silence !
Mais, c'est ton pied, Caroline, qui fait crisser les cailloux blancs.
Petite sotte ! Elle ne te veut aucun mal, cette chouette au vol lourd qui va se nicher sur le gros platane.
Voyons, il n'y a rien derrière toi...
Caroline court, court de toutes ses jambes, s'empêtre dans sa robe de chambre. Crac ! Le foulard rose est déchiré !
Mon Dieu ! Que dira maman ?
Il est bien question de ce que dira maman, quand on a une lune pour soi toute seule ! Une lune à laquelle il va falloir chanter :
Gram, gram, gram.
Gram...
La chanson ! Caroline est affolée : elle ne se souvient plus du premier mot de la chanson !
Un rossignol vient heureusement à son secours. Jamais Caroline n'avait entendu le rossignol. Cette nuit, l'oiseau chante aussi pour elle seule. Et, en l'écoutant, la fillette, transportée, retrouve son chant à elle.

3
Elle arrive maintenant au bord de l'étang. Le saule qui s'y regarde semble encore plus incliné qu'en plein jour :
"On dirait qu'il va plonger", remarque Caroline.
Mais un bruit curieux ne la laisse pas longtemps à ses réflexions. Elle recule d'un pas, de deux...
Oh ! Caroline ! Tu ne sais donc pas que les rainettes aiment à sauter dans l'herbe, quand le monde n'est pas là pour les attraper ?
Tiens ! C'est gentil, une rainette avec ses prunelles d'or.
Et Caroline se familiarise bientôt avec les bêtes de la nuit qui l'accueillent comme une amie, veillant à ne pas trop l'effaroucher : Mitsou lui-même, dont elle a vu briller les yeux dans l'ombre, la rassure d'un miaulement qu'elle reconnaît aussitôt.
Quant à Zim, on le dirait complice de cette escapade nocturne ; il a grogné sourdement au fond de sa niche, comme pour dire à sa petite maîtresse :
"Ne crains rien, je n'aboierais pas. Et je suis là, si quelqu'un veut t'attaquer."
C'est du moins, ce que la petite fille a cru comprendre.
C'est drôle, tout ce qu'on peut comprendre quand il n'y a plus personne pour rien vous expliquer...
Que la nuit, la nuit qui ne veut pas des hommes, mais qui veut bien des enfants quand ceux-ci savent ne pas en avoir peur.

Au bord de l'étang, Caroline a oublié qu'elle était venue là pour pêcher la lune. Sa tête est vide de toute pensée grave. C'est merveilleux d'avoir seulement des yeux pour voir, un nez pour sentir, une bouche pour respirer fort, l'air charger des parfums de chaleur. Et plus du tout de cervelle pour se dire :
"Qu'est-ce que je suis venue faire ?"
Mais il y a au-dessus de l'étang une lune, ronde comme une boule (Boule et boule. Et boule et gram !), qui ramène Caroline à la réalité.
La réalité, ce soir, n'est-ce pas de prendre la lune dans un grand filet, comme les pêcheurs dans leur nasse prennent les poissons ?
Et bien oui : Caroline a oublié le filet !
Linotte, va ! Tu es aussi étourdie, chaque matin, quand tu pars pour la classe et que tu laisses à la maison ton livre ou ton porte-plume.
Ce soir, c'est plus sérieux : que vont penser les fées qui te guettent derrière le buisson d'aubépine ? Elles ne t'aideront sûrement pas à décrocher la lune, les fées....

4
"C'est bien cela : le vieux filet de tennis que Michel a remisé dans le placard aux balais. Il faut que je retourne le chercher."
Caroline avance dans l'allée, sans aucune hésitation cette fois. La chouette, pourtant, passe devant elle. Les cailloux crissent encore sous les pas. Et les yeux de Mitsou sont toujours là, brillants dans l'ombre. Mais la chouette, les cailloux, Mitsou ne sont pas plus terribles que ce ver luisant qui se laisse cueillir comme une fleur, et s'éteint dans le creux de la main.
Il faut de nouveau traverser le couloir et glisser, par la cuisine, jusqu'au cagibi où Julie range ses balais.
Tout le monde est couché à présent. De l'extérieur, la fillette ne voit aucune lumière. La porte seulement tirée tout à l'heure, derrière elle, va être poussée doucement..., doucement... Et Caroline sur la pointe de ses pantoufles, va pouvoir atteindre la filet qui lui permettra de pêcher la lune.
Catastrophe ! La porte n'est plus entr'ouverte !
Qui l'a fermée ? Julie, sans doute : elle vérifie toujours les verrous avant d'aller dormir. Caroline n'y avait pas songé.
Dehors ! Elle est dehors pour toute la nuit ! Et sans filet encore !
Que diront-ils, à la maison, quand ils viendront la réveiller pour l'envoyer en classe ? Impossible de dissimuler cette aventure ! Comment expliquer une pareille sortie ? Il était, du reste, écrit dans le livre de Philippe :
La lune n'aime pas les grandes personnes. Elle se cache dès que l'une d'entre elles s'approche d'un étang pour la prendre. Par contre, elle est l'amie des enfants qu'elle caresse souvent dans leur berceau. Aussi, ces derniers, doivent-ils se rendre seuls au bord de l'eau, s'ils veulent la pêcher.
Caroline tourne autour de la maison dans l'espoir de trouver ouverte une fenêtre du rez-de-chaussée. Julie est, décidément, une domestique parfaite : les volets sont clos, de la cave au grenier !
Oh ! Là : une échelle oubliée par Firmin, le jardinier. L'échelle, péniblement, est amenée jusqu'à la lucarne de la dernière mansarde, façade nord. Caroline est épuisée par l'effort : l'échelle fait au moins trois fois sa hauteur.
Enfin, la voilà sauvée !
Sauvée ? Pas encore...
Et le vertige ? Vous ne savez donc pas que Caroline n'a pas voulut monter à la Tour Eiffel quand papa et maman l'ont emmenée à Paris. La tête lui tourne dès qu'elle sent le vide autour d'elle.
Un barreau... deux barreaux... trois, quatre, cinq, six...
Patratas ! La chute, la chute inévitable.
Et son coeur qui bat...
Dessous, il y a les grosses pierres qui servent de bordure au parterre des pensées. C'est sur elles que Caroline va s'écraser.
Mon Dieu ! C'est affreux !

"Caroline ! Debout ! Caroline !"
Du soleil, du soleil qui entre avec maman. Une maman en robe de chambre, toute pareille à celle de Caroline.
- Maman, elle est cassée, l'échelle ?
- Qu'est-ce que tu dis, Caroline ?
- Oui, l'échelle que j'ai fait tomber cette nuit ?
- Réveille-toi, mon bijou. Il n'y a pas d'échelle cassée : seulement celle que Firmin pose chaque soir derrière la maison. Et celle-là est en parfait état. Tu as dû faire un cauchemar, mon bonhomme.
- Un cauchemar ? Qu'est-ce que ça veut dire, maman, un cauchemar ?
- C'est un vilain rêve qui serre le cœur à vous étouffer...
Allons, vite, ma chérie ! Tu vas être en retard pour te rendre à l'école.

Conte inédit par Simonne Michel