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016 Livre
Des contes et légendes
194 Brimborionne et Pimperlin

Brimborionne et Pimperlin

La nourrice de Brimborionne, fille du roi de Carmiole, pour cueillir des pâquerettes, déposa un instant la petite princesse au pied de la grande meule, sur un doux lit de foin odorant.
C’était justement le jour où passaient les cigognes pour aller prendre leurs quartiers d’hiver, dans la ville accoutumée, à Klikenbeck, la capitale du Royaume voisin.
L’une d’elles, la reine des cigognes, qui conduisait le triangle migrateur, aperçut cette meule : « Voilà, songea-t-elle, de quoi faire à mon nid une doublure douillette ! »
Et crac, d’un coup de son grand bec, elle happa au passage une poignée de ce foin… et, sans y prendre garde, avec l’herbe séchée, elle emporta Brimborionne.
Aussi quand Milka, la nourrice, la voulut reprendre, elle ne put la trouver et dut, avec larmes, s’arrachant les cheveux, revenir seule au Palais.
On la mit en prison, dans le cachot des traîtres, des prisonniers d’État, pour instruire son procès.
La grosse cigogne cependant avait continué sa route, son vol infléchi un instant l’avait amenée droit au toit du palais de Klikenbeck, où son nid l’attendait, à la base d’une large cheminée de pierre sculptée.
Elle posa le foin dans le berceau rond fait de branches tricotées, et voici qu’elle aperçut Brimborionne qui remuait ses menottes en demandant son lait.
La cigogne fut si étonnée qu’elle se mit à claquer du bec - plic, ploc, - très fort comme pour avertir les autres d’un danger, et toute la troupe répondit : « plic, ploc ! » claquant du bec. Ce vacarme attira tout le monde dans la cour d’honneur : le roi, la reine de Klickenbeck et les courtisans. Tous levèrent la tête vers les toits et aperçurent la troupe des cigognes qui tournoyait affairée autour d’un même point, plic, ploc !
Vite, on fit avec des échelles de cordes monter un page aux jarrets souples pour voir ce qui causait cette ronde étrange des cigognes familières, le page arriva contre la cheminée et, dans le nid, vit la princesse.
Délicatement, dans ses mains, il la prit et, avec des précautions infinies, pour ne pas manquer un échelon, le petit page redescendit ; dans les bras de la reine ravie, il déposa la princesse Brimborionne.
« Ce doit être la filleule de la fée des Oiseaux, » déclara la reine, et comme elle avait une nourrice aussi pour son fils, le prince Pimperlin, elle lui confia Brimborionne.
« Vous les élèverez tous les deux comme s’ils étaient deux jumeaux. »
Cependant, Milka, la malheureuse nourrice de Brimborionne, dans son cachot gémissait, attendant le jugement fatal. On l’avait questionnée doucement d’abord, avec des paroles insinuantes, lui promettant beaucoup d’or si elle disait où se trouvait la princesse, puis avec des mots rudes et des menaces terribles, avec d’affreux instruments de torture ensuite qui ‘avaient pu lui arracher le secret ignoré.
« Dis-nous à quelle sorcière tu l’as vendue pour ses œuvres infernales ? »
La nourrice ne pouvait que répondre :
« Grâce, grâce, je ne sais rien ! »
Bref, on la condamna à être brûlée vive sur le parvis du palais, au jour anniversaire de la disparition mystérieuse de Brimborionne.
La veille au soir, le gros juge avec sa robe, ses yeux féroces, lui vint lire la sentence : « Nous, par la volonté du peuple, roi de Carniole, avons condamné… »
La nuit, on le conçoit, fut atroce pour Milka, la pauvre nourrice ; elle se lamentait sur l’injustice des hommes, implorant les fées clairvoyantes et puissantes.
Au petit jour, heure fatale, un rayon de soleil levant passa par les barreaux de son cachot :
« O lumière, éclaire-les et montre mon innocence. »
Et dans le rayon doré, voici qu’une forme se dessine, vaporeuse et saisissante : une fée apparaît à la pauvre éplorée.
« Milka, ton étourderie ne méritait pas un tel traitement, tu négligeas de surveiller la princesse Brimborionne que l’on t’avait confiée, tu fus étourdie comme une mouche frivole ; mouche tu resteras jusqu’au jour où, mouche, tu mourras dans un geste qui émouche.
Milka se sentit devenir toute mince, toute menue, légère ; sa mante se changea en deux ailes transparentes et, dans le rayon de soleil où dansait la poussière, entre les barreaux de fer trop serrés, hier, trop larges à présent, elle s’envola délivrée.
C’était, je vous l’ai dit, le jour anniversaire de l’enlèvement de Brimborionne, et, comme l’an d’avant, les cigognes regagnaient leurs quartiers d’hiver à Kilenbeck, traversant le royaume de Carniole.
La grosse cigogne en tête du triangle passait au moment juste où Milka, transformée en mouche sortait de sa prison ; floc ! D’un coup de son long bec, la cigogne au passage la happa.
Aussi quand le juge en robe rouge entra dans le cachot pour avertir la prisonnière que « c’était l’heure » de la mener au bûcher, dressé sur le parvis devant le palais il ouvrit tout le grands ses yeux féroces, trouvant la cellule vide.
« C’était vraiment une sorcière, déclara-t-il sentencieux. Elle s’est sauvée sur un rayon de lune. »
Et tout fut dit, par force, pour le moment.
Mais la reine des cigognes, en arrivant à son nid habituel, au pied de la grosse cheminée de pierre sculptée, sculptée, heureuse de parvenir au but, eut un cri joyeux. Crô, elle ouvrit son long bec et la mouche Milka qui, de toute la force de ses pattes, s’était agrippée dans le bec pour, n’être pas avalée, profita de cette ouverture pour s’envoler.
La cigogne allait la rattraper quand, avisée, la grosse mouche se précipite dans la cheminée, la cigogne plongea son long cou, mais la mouche était déjà loin, le grand bec happa quelques flocons de suie.
« Bast, se dit la cigogne, ce n’était qu’une mouche ! »
La grosse mouche Milka, à force de descendre dans la cheminée, arriva dans une pièce où, justement, se tenait la nourrice commune à Brimborionne et Pimperlin. Stupéfaite à la fois et joyeuse, elle aperçut la princesse disparue si mystérieusement, dont l’absence avait failli lui coûter la vie, lui avait causé tant de tourments et finalement, avait fait qu’elle était métamorphosée, heureusement, en grosse mouche.
Elle n’eut aussitôt qu’une idée, aller au plus vite prévenir la reine de Carniole que sa fille Brimborionne était retrouvée, saine et belle, car la reine avait tout le long du procès essayé de sauver la nourrice et de la défendre des juges.
Par la cheminée, la mouche remonta, elle vit que les cigognes lasses dormaient dans leur nid ; elle s’élança au dehors sans peur d’être gobée.
A tire d’ailes, elle arrive au palais du roi de Carniole ; par une fenêtre entrebâillée, il faut si peu de place à une mouche, elle pénétra dans l’appartement de la reine.
Celle-ci dormait, la grosse mouche vint bourdonner à son oreille : Vrunnn, vrunnn ! Et la reine, dont le sommeil, à présent que sa fille était disparue, était bien léger, s’éveilla à ce bruit : Vrunnn, vrunnn !
« Reine, dit la mouche à son oreille, votre fille, la princesse Brimborionne est au palais du roi, votre voisin, à Klikeenbeck avec le prince Pimperlin. »
La reine crut rêver, mais, néanmoins, elle sauta aussitôt de sont, appela les servantes.
« Vite, qu’on me vête, qu’on attelle la chaise de poste, avertissez le roi ! »
Quand tous les préparatifs furent achevés, l’aurore rosissait le ciel, on se mit en route pour Klikenbeck, la grosse mouche par précaution s’était blottie dans les cheveux de la reine. On arriva sans encombre; le palais de Klikenbeck accueillit les arrivants.
L’histoire de la cigogne fut narrer, on amena Brimborionne.
« C’est elle, ma fille, s’écria la reine.
- Ma fille, c’est elle, » s’écria le roi.
Il fallait maintenant réparer le mal si possible, réhabiliter faute de mieux la mémoire de la pauvre nourrice, de Milka disparue, reconnaître son innocence.
On réunit les mêmes juges, après les mêmes délibérations, ils proclamèrent hautement l’erreur judiciaire.
Et l’on décida que le jour anniversaire de la disparition de Brimborionne, de la condamnation de Milka, la sentence d’innocence serait lue au peuple, du haut du parvis.
Le gros juge, à robe rouge, arriva à l’heure dite, à la place indiquée, à voix haute il proclama ce qui suit ;
« Nous, par la volonté du peuple, roi de Carniole, avons décrété…»
« Dame Milka, par erreur accusée… est innocente de tout crime et, de ce fait, par notre volonté, pleinement réhabilitée. »
A ce moment, sur le nez du juge rouge, une grosse mouche se posa ; d’un geste instinctif, avec le parchemin qu’il tenait en sa dextre et lisait à haute voix, le juge la voulut chasser - plouc - il l’écrasa net ; sur le vélin, un point rouge apparut, c’était à la fin de la phrase, après le mot… réhabilitée.
Ainsi le sort s’accomplit, la grosse mouche écrasée par le geste qui émouche, et Milka redevenait femme selon la prédiction de la fée.
La joie était complète ; pour tout dire, vous saurez que, plus tard, on célébra le mariage de Brimborionne et de Pimperlin, le jour anniversaire où les cigognes passèrent pour la dix-huitième fois.

Jérôme DOUCET
 
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