007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
LA MORT |
CL LE RÊVE D’UN CURIEUX À F. N. Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse, Et de toi fais-tu dire : « Oh ! l’homme singulier ! » — J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse, Désir mêlé d’horreur, un mal particulier ; Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. Plus allait se vidant le fatal sablier, Plus ma torture était âpre et délicieuse ; Tout mon cœur s’arrachait au monde familier. J’étais comme l’enfant avide du spectacle, Haïssant le rideau comme on hait un obstacle… Enfin la vérité froide se révéla : J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore M’enveloppait. — Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ? La toile était levée et j’attendais encore. |
Le Rêve d’un Curieux (1861) À Félix Nadar Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse Et de toi fais-tu dire : « Oh! l’homme singulier ! » – J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse Désir mêlé d’horreur, un mal particulier ; Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. Plus allait se vidant le fatal sablier, Plus ma torture était âpre et délicieuse ; Tout mon coeur s’arrachait au monde familier. J’étais comme l’enfant avide du spectacle, Haïssant le rideau comme on hait un obstacle... Enfin la vérité froide se révéla : J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore M’enveloppait. – Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ? La toile était levée et j’attendais encore. The Dream of a Curious Man To F.N. Do you know as I do, delectable suffering ? And do you have them say of you : “O ! the strange man !” – I was going to die. In my soul, full of love, A peculiar illness ; desire mixed with horror, Anguish and bright hopes ; without internal strife. The more the fatal hour-glass continued to flow, The fiercer and more delightful grew my torture ; My heart was being torn from this familiar world. I was like a child eager for the play, Hating the curtain as one hates an obstacle... Finally the cold truth revealed itself : I had died and was not surprised ; the awful dawn Enveloped me. – What ! is that all there is to it ? The curtain had risen and I was still waiting. – William Aggeler, 1954 Dream of a Curious Person To F.N. Have you known such a savoury grief as I ? Do people say “Strange fellow !,” whom you meet ? – My amorous soul, when I was due to die, Felt longing mixed with horror ; pain seemed sweet. Anguish and ardent hope (no factious whim) Were mixed : and as the sands of life ran low My torture grew delicious yet more grim, And of this dear old world would not let go. I seemed a child, so keen to see the Show He feels a deadly hatred of the Curtain... And then I saw the hard, cold truth for certain. I felt that dreadful dawn around me grow With no surprise or vestige of a thrill. The curtain rose – and I stayed waiting still. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |