007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
FLEURS DU MAL
CXLII

L’AMOUR ET LE CRÂNE

VIEUX CUL-DE-LAMPE

L’Amour est assis sur le crâne
De l’Humanité
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,

Souffle gaîment des bulles rondes
Qui montent dans l’air,
Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l’éther.

Le globe lumineux et frêle
Prend un grand essor,
Crève et crache son âme grêle
Comme un songe d’or.

J’entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir :
« Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir ?

Car ce que ta bouche cruelle
Éparpille en l’air,
Monstre assassin, c’est ma cervelle,
Mon sang et ma chair ! »
 
L’Amour et le Crâne
Vieux cul-de-lampe

L’Amour est assis sur le crâne
De l’Humanité,
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,

Souffle gaiement des bulles rondes
Qui montent dans l’air,
Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l’éther.

Le globe lumineux et frêle
Prend un grand essor,
Crève et crache son âme grêle
Comme un songe d’or.

J’entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir :
– « Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir ?

Car ce que ta bouche cruelle
Éparpille en l’air,
Monstre assassin, c’est ma cervelle,
Mon sang et ma chair ! »





Cupid and the Skull
An Old Lamp Base

Cupid is seated on the skull
Of Humanity ;
On this throne the impious one
With the shameless laugh
Is gaily blowing round bubbles
That rise in the air
As if they would rejoin the globes
At the ether’s end.
The sphere, fragile and luminous,
Takes flight rapidly,
Bursts and spits out its flimsy soul
Like a golden dream.
I hear the skull groan and entreat
At every bubble :
“When is this fierce, ludicrous game
To come to an end ?
Because what your pitiless mouth
Scatters in the air,
Monstrous murderer – is my brain,
My flesh and my blood !”
– William Aggeler, 1954



Love and the Skull
(Old Tail-piece)

With bold and insolent grimace,
Love laughingly bestrides
The bare skull of the Human Race,
And, as enthroned he rides,
Blows bubbles from his rosy cheek
Which soar into the sky
As if, beyond the blue, to seek
The other worlds on high.
They ride with wondrous verve at first,
Reflect the sunny beams,
Then spit their flimsy souls, to burst
And fade like golden dreams.
I hear the skull at each renewal
Expostulate aghast –
“This game, ridiculous and cruel –
When will it end at last ?
For what your cruel mouthpiece drains
And scatters, sud by sud,
Monstrous Assassin ! is my brains,
My substance, and my blood.”
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal