007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
FLEURS DU MAL
CXXXVIII

LA FONTAINE DE SANG

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rhythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J’ai demandé souvent à des vins captieux
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !

J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !
 
La Fontaine de Sang

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J’ai demandé souvent à des vins captieux
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’oeil plus clair et l’oreille plus fine !

J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !




The Fountain of Blood

It seems to me at times my blood flows out in waves
Like a fountain that gushes in rhythmical sobs.
I hear it clearly, escaping with long murmurs,
But I feel my body in vain to find the wound.
Across the city, as in a tournament field,
It courses, making islands of the paving stones,
Satisfying the thirst of every creature
And turning the color of all nature to red.
I have often asked insidious wines
To lull to sleep for a day my wasting terror ;
Wine makes the eye sharper, the ear more sensitive !
I have sought in love a forgetful sleep ;
But love is to me only a bed of needles
Made to slake the thirst of those cruel prostitutes !
– William Aggeler, 1954


The Fountain of Blood

My blood in waves seems sometimes to be spouting
As though in rhythmic sobs a fountain swooned.
I hear its long, low, rushing sound till, doubting,
I feel myself all over for the wound.
Across the town, as in the lists of battle,
It flows, transforming paving stones to isles,
Slaking the thirst of creatures, men, and cattle,
And colouring all nature red for miles.
Sometimes I’ve sought relief in precious wines
To lull in me the fear that undermines,
But found they sharpened every sense the more.
I’ve also sought forgetfulness in lust,
But love’s a bed of needles, and they thrust
To give more drink to each rapacious whore.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal