007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
LE VIN |
CXXXI LE VIN DU SOLITAIRE Le regard singulier d’une femme galante Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant, Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ; Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ; Un baiser libertin de la maigre Adeline ; Les sons d’une musique énervante et câline, Semblable au cri lointain de l’humaine douleur, Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde, Les baumes pénétrants que ta panse féconde Garde au cœur altéré du poëte pieux ; Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie, — Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux. |
Le Vin du solitaire Le regard singulier d’une femme galante Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant, Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ; Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ; Un baiser libertin de la maigre Adeline ; Les sons d’une musique énervante et câline, Semblable au cri lointain de l’humaine douleur, Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde, Les baumes pénétrants que ta panse féconde Garde au coeur altéré du poète pieux ; Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie, – Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ! The Wine of the Solitary The strange look of a lady of pleasure Turned slyly toward us like the white beam Which the undulous moon casts on the trembling lake When she wishes to bathe her nonchalant beauty ; The last bag of crowns between a gambler’s fingers ; A lustful kiss from slender Adeline ; The sound of music, tormenting and caressing, Resembling the distant cry of a man in pain, All that is not worth, O deep, deep bottle, The penetrating balm that your fruitful belly Holds for the thirsty heart of the pious poet ; You pour out for him hope, and youth, and life – And pride, the treasure of all beggary, Which makes us triumphant and equal to the gods ! – William Aggeler, 1954 The Wine of the Solitary Man The love-glance of a courtesan that swims With undulating ray like that the moon Sends to the waiting, tremulous lagoon Where she’s about to lave her languid limbs : The last few florins in a gambler’s fingers : The lustful kiss of slender Adeline : A haunting tune that wheedles and malingers, Wherein all human anguish seems to pine : All these aren’t worth, O bottle kind and deep, The penetrating balms that swell your paunch The pious poet’s wounded heart to staunch. You pour him hope, youth, life, and healing sleep – And pride, all Beggary’s diadem and treasure, By which our triumphs with the Gods’ we measure. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |