007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
TABLEAUX PARISIENS |
CXXII L’AMOUR DU MENSONGE Quand je te vois passer, ô ma chère indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l’ennui de ton regard profond ; Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pâle, embelli par un morbide attrait, Où les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d’un portrait, Je me dis : Qu’elle est belle ! et bizarrement fraîche ! Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son cœur, meurtri comme une pêche, Est mûr, comme son corps, pour le savant amour. Es-tu le fruit d’automne aux saveurs souveraines ? Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ? Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques, Qui ne recèlent point de secrets précieux ; Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux ! Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence, Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ? Qu’importe ta bêtise ou ton indifférence ? Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté. |
L’Amour du mensonge (1861) Quand je te vois passer, ô ma chère indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l’ennui de ton regard profond ; Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pâle, embelli par un morbide attrait, Où les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d’un portrait, Je me dis : Qu’elle est belle ! et bizarrement fraîche ! Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son coeur, meurtri comme une pêche, Est mûr, comme son corps, pour le savant amour. Es-tu le fruit d’automne aux saveurs souveraines ? Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ? Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques, Qui ne recèlent point de secrets précieux ; Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux ! Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence, Pour réjouir un coeur qui fuit la vérité ? Qu’importe ta bêtise ou ton indifférence ? Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté. The Love of Lies When I see you pass by, my indolent darling, To the sound of music that the ceiling deadens, Pausing in your slow and harmonious movements, Turning here and there the boredom of your gaze ; When I study, in the gaslight which colors it, Your pale forehead, embellished with a morbid charm, Where the torches of evening kindle a dawn, And your eyes alluring as a portrait’s, I say within : “How fair she is ! How strangely fresh !” Huge, massive memory, royal, heavy tower, Crowns her ; her heart bruised like a peach Is ripe like her body for a skillful lover. Are you the autumn fruit with sovereign taste ? A funereal urn awaiting a few tears ? Perfume that makes one dream of distant oases ? A caressive pillow, a basket of flowers ? I know that there are eyes, most melancholy ones, In which no precious secrets lie hidden ; Lovely cases without jewels, lockets without relics, Emptier and deeper than you are, O Heavens ! But is it not enough that you are a semblance To gladden a heart that flees from the truth ? What matter your obtuseness or your indifference ? Mask or ornament, hail ! I adore your beauty. – William Aggeler, 1954 Love of Lies Dear indolent, I love to watch you so, While on the ceiling break the tunes of dances, And hesitant, harmoniously slow, You turn the wandering boredom of your glances. I watch the gas-flares colouring your drawn, Pale forehead, which a morbid charm enhances, Where evening lamps illuminate a dawn In eyes as of a painting that entrances : And then I say, “She’s fair and strangely fresh, Whom memory crowns with lofty towers above. Her heart is like a peach’s murdered flesh, Or like her own, most ripe for learned love.” Are you an autumn fruit of sovereign flavour ? A funeral urn awaiting tearful showers ? Of far oases the faint, wafted savour ? A dreamy pillow ? or a sheaf of flowers ? I have known deep, sad eyes that yet concealed No secrets : caskets void of any gem : Medallions where no sacred charm lay sealed, Deep as the Skies, but vacuous like them ! It is enough that your appearance flatters, Rejoicing one who flies from truth or duty. Your listless, cold stupidity – what matters ? Hail, mask or curtain, I adore your beauty ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |