007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
TABLEAUX PARISIENS
CXVIII

LE SQUELETTE LABOUREUR

I

Dans les planches d’anatomie
Qui traînent sur ces quais poudreux
Où maint livre cadavéreux
Dort comme une antique momie,

Dessins auxquels la gravité
Et le savoir d’un vieil artiste,
Bien que le sujet en soit triste,
Ont communiqué la Beauté,

On voit, ce qui rend plus complètes
Ces mystérieuses horreurs,
Bêchant comme des laboureurs,
Des Écorchés et des Squelettes.

II

De ce terrain que vous fouillez,
Manants résignés et funèbres,
De tout l’effort de vos vertèbres,
Ou de vos muscles dépouillés,

Dites, quelle moisson étrange,
Forçats arrachés au charnier,
Tirez-vous, et de quel fermier
Avez-vous à remplir la grange ?

Voulez-vous (d’un destin trop dur
Épouvantable et clair emblème !)
Montrer que dans la fosse même
Le sommeil promis n’est pas sûr ;

Qu’envers nous le Néant est traître ;
Que tout, même la Mort, nous ment,
Et que sempiternellement,
Hélas ! il nous faudra peut-être

Dans quelque pays inconnu
Écorcher la terre revêche
Et pousser une lourde bêche
Sous notre pied sanglant et nu ?
 
Le Squelette laboureur (1861)

I
Dans les planches d’anatomie
Qui traînent sur ces quais poudreux
Où maint livre cadavéreux
Dort comme une antique momie,

Dessins auxquels la gravité
Et le savoir d’un vieil artiste,
Bien que le sujet en soit triste,
Ont communiqué la Beauté,

On voit, ce qui rend plus complètes
Ces mystérieuses horreurs,
Bêchant comme des laboureurs,
Des Ecorchés et des Squelettes.

II
De ce terrain que vous fouillez,
Manants résignés et funèbres
De tout l’effort de vos vertèbres,
Ou de vos muscles dépouillés,

Dites, quelle moisson étrange,
Forçats arrachés au charnier,
Tirez-vous, et de quel fermier
Avez-vous à remplir la grange ?

Voulez-vous (d’un destin trop dur
Epouvantable et clair emblème !)
Montrer que dans la fosse même
Le sommeil promis n’est pas sûr ;

Qu’envers nous le Néant est traître ;
Que tout, même la Mort, nous ment,
Et que sempiternellement
Hélas ! il nous faudra peut-être

Dans quelque pays inconnu
Ecorcher la terre revêche
Et pousser une lourde bêche
Sous notre pied sanglant et nu ?
 
Skeleton with a Spade
I
In the anatomical plates
That lie about on dusty quais
Where many cadaverous books
Sleep like an ancient mummy,
Engravings to which the staidness
And knowledge of some old artist
Have communicated beauty,
Although the subject is gloomy,
One sees, and it makes more complete
These mysteries full of horror,
Skinless bodies and skeletons, Spading as if they were farmhands.
II
From the soil that you excavate,
Resigned, macabre villagers,
From all the effort of your backs,
Or of your muscles stripped of skin,
Tell me, what singular harvest,
Convicts torn from cemeteries,
Do you reap, and of what farmer
Do you have to fill the barn ?
Do you wish (clear, frightful symbol
Of too cruel a destiny !)
To show that even in the grave
None is sure of the promised sleep ;
That Annihilation betrays us ;
That all, even Death, lies to us,
And that forever and ever,
Alas ! we shall be forced perhaps
In some unknown country
To scrape the hard and stony ground
And to push a heavy spade in
With our bare and bleeding feet ?
– William Aggeler, 1954


The Skeleton Navy
I
Quaint anatomic plates are sold
Along the quays in third-hand stalls
Where tomes cadaverous and old
Slumber like mummies in their palls.
In them the craftsman’s skill combines
With expert knowledge in a way
That beautifies these chill designs
Although the subject’s far from gay.
One notes that, consummating these
Mysterious horrors, God knows how,
Skeletons and anatomies
Peel off their skins to delve and plough.
II
Navvies, funereal and resigned,
From the tough ground with which you tussle
With all the effort that can find
Filleted spine or skinless muscle –
O grave-snatched convicts, say what strange
Harvest you hope from such a soil
And who the farmer is whose grange
You would replenish with this toil.
Mean you to show (O evil-starred
Exponents of too stark a doom)
The promised sleep may yet be barred,
Even from us, beyond the tomb ;
That even extinction may turn traitor,
And Death itself, can be a lie ;
And that perhaps, sooner or later,
Forever, when we come to die,
In some strange country, without wages,
On stubborn outcrops delving holes,
We’ll push a shovel through the ages
Beneath our flayed and blinding soles ?
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal