007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
TABLEAUX PARISIENS |
CXVII À UNE PASSANTE La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! |
À une passante (1861) La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un éclair... puis la nuit ! – Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! To a Passer-By The street about me roared with a deafening sound. Tall, slender, in heavy mourning, majestic grief, A woman passed, with a glittering hand Raising, swinging the hem and flounces of her skirt ; Agile and graceful, her leg was like a statue’s. Tense as in a delirium, I drank From her eyes, pale sky where tempests germinate, The sweetness that enthralls and the pleasure that kills. A lightning flash... then night ! Fleeting beauty By whose glance I was suddenly reborn, Will I see you no more before eternity ? Elsewhere, far, far from here ! too late ! never perhaps ! For I know not where you fled, you know not where I go, O you whom I would have loved, O you who knew it ! – William Aggeler, 1954 A Passer-by The deafening street roared on. Full, slim, and grand In mourning and majestic grief, passed down A woman, lifting with a stately hand And swaying the black borders of her gown ; Noble and swift, her leg with statues matching ; I drank, convulsed, out of her pensive eye, A livid sky where hurricanes were hatching, Sweetness that charms, and joy that makes one die. A lighting-flash – then darkness ! Fleeting chance Whose look was my rebirth – a single glance ! Through endless time shall I not meet with you ? Far off ! too late ! or never ! – I not knowing Who you may be, nor you where I am going – You, whom I might have loved, who know it too ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |