007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
TABLEAUX PARISIENS
CXVI

LES AVEUGLES

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins ; vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules ;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
 
Les Aveugles (1861)

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins ; vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules ;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois ! je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?




The Blind

Contemplate them, my soul ; they are truly frightful !
Like mannequins ; vaguely ridiculous ;
Strange and terrible, like somnambulists ;
Darting, one never knows where, their tenebrous orbs.
Their eyes, from which the divine spark has departed,
Remain raised to the sky, as if they were looking
Into space : one never sees them toward the pavement
Dreamily bend their heavy heads.
Thus they go across the boundless darkness,
That brother of eternal silence. O city !
While about us you sing, laugh, and bellow,
In love with pleasure to the point of cruelty,
See ! I drag along also ! but, more dazed than they,
I say : “What do they seek in Heaven, all those blind ?”
– William Aggeler, 1954


The Blind

My soul, survey them, dreadful as they seem.
Like marionettes, ridiculous they stare.
Strange as somnambulists that, in their dream,
Dart shadowy orbs around we know not where.
Their eyes, from which the heavenly spark has flown
Remain uplifted, as in distant quest,
Skyward : but never on the paving stone
Do they pore dreamingly or come to rest.
They traverse thus the illimitable Dark,
Twin of eternal Silence. While the City
May sing around us, bellow, laugh, or bark, –
By pleasure blinded even to horror, I,
Too, drag my way, but, more a thing of pity,
Ask what the Blind are seeking there on high.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal