007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
TABLEAUX PARISIENS |
CXII À UNE MENDIANTE ROUSSE Blanche fille aux cheveux roux, Dont la robe par ses trous Laisse voir la pauvreté Et la beauté, Pour moi, poëte chétif, Ton jeune corps maladif, Plein de taches de rousseur, A sa douceur. Tu portes plus galamment Qu’une reine de roman Ses cothurnes de velours Tes sabots lourds. Au lieu d’un haillon trop court, Qu’un superbe habit de cour Traîne à plis bruyants et longs Sur tes talons ; En place de bas troués, Que pour les yeux des roués Sur ta jambe un poignard d’or Reluise encor ; Que des nœuds mal attachés Dévoilent pour nos péchés Tes deux beaux seins, radieux Comme des yeux ; Que pour te déshabiller Tes bras se fassent prier Et chassent à coups mutins Les doigts lutins, Perles de la plus belle eau, Sonnets de maître Belleau Par tes galants mis aux fers Sans cesse offerts, Valetaille de rimeurs Te dédiant leurs primeurs Et contemplant ton soulier Sous l’escalier, Maint page épris du hasard, Maint seigneur et maint Ronsard Épieraient pour le déduit Ton frais réduit ! Tu compterais dans tes lits Plus de baisers que de lys Et rangerais sous tes lois Plus d’un Valois ! — Cependant tu vas gueusant Quelque vieux débris gisant Au seuil de quelque Véfour De carrefour ; Tu vas lorgnant en dessous Des bijoux de vingt-neuf sous Dont je ne puis, oh ! pardon ! Te faire don. Va donc, sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudité, Ô ma beauté ! |
À une Mendiante rousse Blanche fille aux cheveux roux, Dont la robe par ses trous Laisse voir la pauvreté Et la beauté, Pour moi, poète chétif, Ton jeune corps maladif, Plein de taches de rousseur, À sa douceur. Tu portes plus galamment Qu’une reine de roman Ses cothurnes de velours Tes sabots lourds. Au lieu d’un haillon trop court, Qu’un superbe habit de cour Traîne à plis bruyants et longs Sur tes talons ; En place de bas troués Que pour les yeux des roués Sur ta jambe un poignard d’or Reluise encor ; Que des noeuds mal attachés Dévoilent pour nos péchés Tes deux beaux seins, radieux Comme des yeux ; Que pour te déshabiller Tes bras se fassent prier Et chassent à coups mutins Les doigts lutins, Perles de la plus belle eau, Sonnets de maître Belleau Par tes galants mis aux fers Sans cesse offerts, Valetaille de rimeurs Te dédiant leurs primeurs Et contemplant ton soulier Sous l’escalier, Maint page épris du hasard, Maint seigneur et maint Ronsard Épieraient pour le déduit Ton frais réduit ! Tu compterais dans tes lits Plus de baisers que de lis Et rangerais sous tes lois Plus d’un Valois ! – Cependant tu vas gueusant Quelque vieux débris gisant Au seuil de quelque Véfour De carrefour ; Tu vas lorgnant en dessous Des bijoux de vingt-neuf sous Dont je ne puis, oh ! Pardon ! Te faire don. Va donc, sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudité, Ô ma beauté ! To an Auburn-Haired Beggar-Maid Pale girl with the auburn hair, Whose dress through its tears and holes Reveals your poverty And your beauty, For me, an ailing poet, Your body, young and sickly, Spotted with countless freckles, Has its sweetness. You wear with more elegance Your wooden clogs than the queen In a romance her sandals Trimmed with velvet. Instead of a scanty rag, Let a glittering court dress Trail with its long, rustling folds Over your heels ; In place of stockings with holes, Let, for the eyes of roués, A golden poniard glisten In your garter ; Let ill-tied ribbons give way And unveil, so we may sin, Your two lovely breasts, radiant As shining eyes ; Let your arms demand entreating To uncover your body And repel with saucy blows Roguish fingers, Pearls of the finest water, Sonnets by Master Belleau Constantly offered by swains Held in love’s chains, Plebeian versifiers Offering first books to you And ogling your slippered foot From under the stair ; Many a page fond of love’s chance, Many a Ronsard and lord For amusement would spy on Your chilly hut ! You could count in your beds More kisses than fleurs-de-lis And subject to your power Many Valois ! – However, you go begging Some moldy refuse lying On the steps of some Véfour At the crossroads ; You go furtively eyeing Baubles at twenty-nine sous, Of which I can’t, oh ! pardon ! Make you a gift. Go, with no more adornment, Perfume or pearl or diamond, Than your slender nudity, O my beauty ! – William Aggeler, 1954 The Red-Haired Beggar Girl White girl with flame-red hair, Whose garments, here and there, Give poverty to view, And beauty too. To me, poor puny poet, Your body, as you show it, With freckles on your arms, Has yet its charms. You wear with prouder mien Than in Romance a queen Her velvet buskins could – Your clogs of wood. In place of tatters short Let some rich robe of court Swirl with its silken wheels After your heels : In place of stockings holed A dagger made of gold, To light the lecher’s eye, Flash on your thigh : Let ribbons slip their bows And for our sins disclose A breast whose radiance vies Even with your eyes. To show them further charms Let them implore your arms, And these, rebuking, humble Fingers that fumble With proferred pearls aglow And sonnets of Belleau, Which, fettered by your beauty, They yield in duty. Riffraff of scullion-rhymers Would dedicate their primers Under the stairs to view Only your shoe. Each page-boy lucky-starred, Each marquis, each Ronsard Would hang about your bower To while an hour. You’d count, among your blisses, Than lilies far more kisses, And boast, among your flames, Some royal names. Yet now your beauty begs For scraps on floors, and dregs Else destined to the gutter, As bread and butter. You eye, with longing tense, Cheap gauds for thirty cents, Which, pardon me, these days I cannot raise. No scent, or pearl, or stone, But nothing save your own Thin nudity for dower, Pass on, my flower ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |