007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
TABLEAUX PARISIENS
CXI

LA LUNE OFFENSÉE

Ô Lune qu’adoraient discrètement nos pères,
Du haut des pays bleus où, radieux sérail,
Les astres vont se suivre en pimpant attirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,

Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prospères,
De leur bouche en dormant montrer le frais émail ?
Le poëte buter du front sur son travail ?
Ou sous les gazons secs s’accoupler les vipères ?

Sous ton domino jaune, et d’un pied clandestin,
Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu’au matin,
Baiser d’Endymion les grâces surannées ?

« — Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d’années,
Et plâtre artistement le sein qui t’a nourri ! »
 
La Lune offensée (1868)

Ô Lune qu’adoraient discrètement nos pères,
Du haut des pays bleus où, radieux sérail,
Les astres vont te suivre en pimpant attirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,

Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prospères,
De leur bouche en dormant montrer le frais émail ?
Le poète buter du front sur son travail ?
Ou sous les gazons secs s’accoupler les vipères ?

Sous ton domino jaune, et d’un pied clandestin,
Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu’au matin,
Baiser d’Endymion les grâces surannées ?

– « Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d’années,
Et plâtre artistement le sein qui t’a nourri ! »




The Offended Moon

O Moon whom our ancestors discreetly adored,
Radiant seraglio ! from the blue countries’ height
To which the stars follow you in dashing attire,
My ancient Cynthia, lamp of our haunts,
Do you see the lovers on their prosperous pallets,
Showing as they sleep, the cool enamel of their mouths ?
The poet beating his forehead over his work ?
Or the vipers coupling under the withered grass ?
Under your yellow domino, with quiet step,
Do you go as in days of old from morn till night
To kiss the faded charms of Endymion ?
– “I see your mother, child of this impoverished age,
Bending toward her mirror a heavy weight of years,
Skillfully disguising the breast that nourished you !”
– William Aggeler, 1954


The Moon Offended

O moon, to whom our fathers used to pray,
From your blue home, where, odalisques of light,
The stars will follow you in spruce array,
Old Cynthia, lantern of our dens by night,
Do you see sleeping lovers on their couches
Reveal the cool enamel of their teeth :
The poet at his labours, how he crouches :
And vipers – how they couple on the heath ?
In yellow domino, with stealthy paces,
Do you yet steal with clandestine embraces
To clasp Endymion’s pale, millenial charm ?
– “I see your mother, by her mirror, buckled
By weight of years, poor child of death and harm !
Patching with art the breast at which you suckled !”
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal