007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
TABLEAUX PARISIENS
CIX

LE SOLEIL

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poëte, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
 
Le Soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des sécrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
II fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches le miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
II ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.




The Sun

Along the old street on whose cottages are hung
The slatted shutters which hide secret lecheries,
When the cruel sun strikes with increased blows
The city, the country, the roofs, and the wheat fields,
I go alone to try my fanciful fencing,
Scenting in every corner the chance of a rhyme,
Stumbling over words as over paving stones,
Colliding at times with lines dreamed of long ago.
This foster-father, enemy of chlorosis,
Makes verses bloom in the fields like roses ;
He makes cares evaporate toward heaven,
And fills with honey hives and brains alike.
He rejuvenates those who go on crutches
And gives them the sweetness and gaiety of girls,
And commands crops to flourish and ripen
In those immortal hearts which ever wish to bloom !
When, like a poet, he goes down into cities,
He ennobles the fate of the lowliest things
And enters like a king, without servants or noise,
All the hospitals and all the castles.
– William Aggeler, 1954


The Sun

Along the outskirts where, close-sheltering
Hid lusts, dilapidated shutters swing,
When the sun strikes, redoubling waves of heat
On town, and field, and roof, and dusty street –
I prowl to air my prowess and kill time,
Stalking, in likely nooks, the odds of rhyme,
Tripping on words like cobbles as I go
And bumping into lines dreamed long ago.
This all-providing Sire, foe to chloroses,
Wakes verses in the fields as well as roses
Evaporates one’s cares into the breeze,
Filling with honey brains and hives of bees,
Rejuvenating those who go on crutches
And bringing youthful joy to all he touches,
Life to those precious harvests he imparts
That grow and ripen in our deathless hearts.
Poet-like, through the town he seems to smile
Ennobling fate for all that is most vile ;
And king-like, without servants or display,
Through hospitals and mansions makes his way.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal