007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
TABLEAUX PARISIENS |
CVIII PAYSAGE Je veux, pour composer chastement mes églogues, Coucher auprès du ciel, comme les astrologues, Et, voisin des clochers, écouter en rêvant Leurs hymnes solennels emportés par le vent. Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde, Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde ; Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité, Et les grands ciels qui font rêver d’éternité. Il est doux, à travers les brumes, de voir naître L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre, Les fleuves de charbon monter au firmament Et la lune verser son pâle enchantement. Je verrai les printemps, les étés, les automnes ; Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones, Je fermerai partout portières et volets Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. Alors je rêverai des horizons bleuâtres, Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres, Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin, Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin. L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre, Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; Car je serai plongé dans cette volupté D’évoquer le Printemps avec ma volonté, De tirer un soleil de mon cœur, et de faire De mes pensers brûlants une tiède atmosphère. |
Paysage (1861) Je veux, pour composer chastement mes églogues, Coucher auprès du ciel, comme les astrologues, Et, voisin des clochers écouter en rêvant Leurs hymnes solennels emportés par le vent. Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde, Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde ; Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité, Et les grands ciels qui font rêver d’éternité. II est doux, à travers les brumes, de voir naître L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre Les fleuves de charbon monter au firmament Et la lune verser son pâle enchantement. Je verrai les printemps, les étés, les automnes ; Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones, Je fermerai partout portières et volets Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. Alors je rêverai des horizons bleuâtres, Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres, Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin, Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin. L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre, Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; Car je serai plongé dans cette volupté D’évoquer le Printemps avec ma volonté, De tirer un soleil de mon coeur, et de faire De mes pensers brûlants une tiède atmosphère. The Landscape I would, to compose my eclogues chastely, Lie down close to the sky like an astrologer, And, near the church towers, listen while I dream To their solemn anthems borne to me by the wind. My chin cupped in both hands, high up in my garret I shall see the workshops where they chatter and sing, The chimneys, the belfries, those masts of the city, And the skies that make one dream of eternity. It is sweet, through the mist, to see the stars Appear in the heavens, the lamps in the windows, The streams of smoke rise in the firmament And the moon spread out her pale enchantment. I shall see the springtimes, the summers, the autumns ; And when winter comes with its monotonous snow, I shall close all the shutters and draw all the drapes So I can build at night my fairy palaces. Then I shall dream of pale blue horizons, gardens, Fountains weeping into alabaster basins, Of kisses, of birds singing morning and evening, And of all that is most childlike in the Idyl. Riot, storming vainly at my window, Will not make me raise my head from my desk, For I shall be plunged in the voluptuousness Of evoking the Springtime with my will alone, Of drawing forth a sun from my heart, and making Of my burning thoughts a warm atmosphere. – William Aggeler, 1954 Landscape More chasteness to my eclogues it would give, Sky-high, like old astrologers to live, A neighbour of the belfries : and to hear Their solemn hymns along the winds career. High in my attic, chin in hand, I’d swing And watch the workshops as they roar and sing, The city’s masts – each steeple, tower, and flue – And skies that bring eternity to view. Sweet, through the mist, to see illumed again Stars through the azure, lamps behind the pane, Rivers of carbon irrigate the sky, And the pale moon pour magic from on high. I’d watch three seasons passing by, and then When winter came with dreary snows, I’d pen Myself between closed shutters, bolts, and doors, And build my fairy palaces indoors. A dream of blue horizons I would garble With thoughts of fountains weeping on to marble, Of gardens, kisses, birds that ceaseless sing, And all the Idyll holds of childhood’s spring. The riots, brawling past my window-pane, From off my desk would not divert my brain. Because I would be plunged in pleasure still, Conjuring up the Springtime with my will, And forcing sunshine from my heart to form, Of burning thoughts, an atmosphere that’s warm. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |