007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
CVII L’HORLOGE Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi ! Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi Se planteront bientôt comme dans une cible ; Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice À chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor ! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi. Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi ! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard, Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !), Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! » |
L’Horloge (1861) Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi ! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d’effroi Se planteront bientôt comme dans une cible ; Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice À chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor ! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi. Le jour décroît ; la nuit augmente ; Souviens-toi ! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard, Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !), Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! » The Clock Impassive clock ! Terrifying, sinister god, Whose finger threatens us and says : “Remember ! The quivering Sorrows will soon be shot Into your fearful heart, as into a target ; Nebulous pleasure will flee toward the horizon Like an actress who disappears into the wings ; Every instant devours a piece of the pleasure Granted to every man for his entire season. Three thousand six hundred times an hour, Second Whispers : Remember ! – Immediately With his insect voice, Now says : I am the Past And I have sucked out your life with my filthy trunk ! Remember ! Souviens-toi, spendthrift ! Esto memor ! (My metal throat can speak all languages.) Minutes, blithesome mortal, are bits of ore That you must not release without extracting the gold ! Remember, Time is a greedy player Who wins without cheating, every round ! It’s the law. The daylight wanes ; the night deepens ; remember ! The abyss thirsts always ; the water-clock runs low. Soon will sound the hour when divine Chance, When august Virtue, your still virgin wife, When even Repentance (the very last of inns !), When all will say : Die, old coward ! it is too late !” – William Aggeler, 1954 The Clock The Clock, calm evil god, that makes us shiver, With threatening finger warns us each apart : “Remember ! Soon the vibrant woes will quiver, Like arrows in a target, in your heart. To the horizon Pleasure will take flight As flits a vaporous sylphide to the wings. Each instant gnaws a crumb of the delight That for his season every mortal brings. Three thousand times and more, each hour, the second Whispers ‘Remember !’ Like an insect shrill The present chirps, ‘With Nevermore I’m reckoned, I’ve pumped your lifeblood with my loathsome bill.’ Remember ! Souviens-toi ! Esto Memor ! My brazen windpipe speaks in every tongue. Each moment, foolish mortal, is like ore From which the precious metal must be wrung. Remember. Time the gamester (it’s the law) Wins always, without cheating. Daylight wanes. Night deepens. The abyss with gulfy maw Thirsts on unsated, while the hour-glass drains. Sooner or later, now, the time must be When Hazard, Virtue (your still-virgin mate), Repentance, (your last refuge), or all three – Will tell you, ‘Die, old Coward. It’s too late !’ ” – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |