007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
CVI L’IRREMÉDIABLE I Une Idée, une Forme, un Être Parti de l’azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul œil du Ciel ne pénètre ; Un Ange, imprudent voyageur Qu’a tenté l’amour du difforme, Au fond d’un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur, Et luttant, angoisses funèbres ! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les ténèbres ; Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles, Pour fuir d’un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ; Un damné descendant sans lampe, Au bord d’un gouffre dont l’odeur Trahit l’humide profondeur, D’éternels escaliers sans rampe, Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visible qu’eux ; Un navire pris dans le pôle, Comme en un piége de cristal, Cherchant par quel détroit fatal Il est tombé dans cette geôle ; — Emblèmes nets, tableau parfait D’une fortune irremédiable, Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu’il fait ! II Tête-à-tête sombre et limpide Qu’un cœur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair et noir, Où tremble une étoile livide, Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques, Soulagement et gloire uniques, — La conscience dans le Mal ! |
L’Irrémédiable I Une Idée, une Forme, un Être Parti de l’azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul oeil du Ciel ne pénètre ; Un Ange, imprudent voyageur Qu’a tenté l’amour du difforme, Au fond d’un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur, Et luttant, angoisses funèbres ! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les ténèbres ; Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles Pour fuir d’un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ; Un damné descendant sans lampe Au bord d’un gouffre dont l’odeur Trahit l’humide profondeur D’éternels escaliers sans rampe, Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu’eux ; Un navire pris dans le pôle Comme en un piège de cristal, Cherchant par quel détroit fatal Il est tombé dans cette geôle ; – Emblèmes nets, tableau parfait D’une fortune irrémédiable Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu’il fait ! II Tête-à-tête sombre et limpide Qu’un coeur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair et noir Où tremble une étoile livide, Un phare ironique, infernal Flambeau des grâces sataniques, Soulagement et gloire uniques, – La conscience dans le Mal ! Beyond Redemption I An Idea, a Form, a Being Which left the azure sky and fell Into a leaden, miry Styx That no eye in Heaven can pierce ; An Angel, imprudent voyager Tempted by love of the deformed, In the depths of a vast nightmare Flailing his arms like a swimmer, And struggling, mortal agony ! Against a gigantic whirlpool That sings constantly like madmen And pirouettes in the darkness ; An unfortunate, enchanted, Outstretched hands groping futilely, Looking for the light and the key, To flee a place filled with reptiles ; A damned soul descending endless stairs Without banisters, without light, On the edge of a gulf of which The odor reveals the humid depth, Where slimy monsters are watching, Whose eyes, wide and phosphorescent, Make the darkness darker still And make visible naught but themselves ; A ship caught in the polar sea As though in a snare of crystal, Seeking the fatal strait through which It came into that prison ; – Patent symbols, perfect picture Of an irremediable fate Which makes one think that the Devil Always does well whatever he does ! II Somber and limpid tête-à-tête – A heart become its own mirror ! Well of Truth, clear and black, Where a pale star flickers, A hellish, ironic beacon, Torch of satanical blessings, Sole glory and only solace – The consciousness of doing evil. – William Aggeler, 1954 The Irremediable I A Form, Idea, or Essence, chased Out of the azure sky, and shot Into a leaden Styx where not A star can pierce the muddy waste : An angel, rash explorer, who, Tempted by love of strange deformity, Caught in a nightmare of enormity, Fights like a swimmer, wrestling through A monstrous whorl of eddying spume, In deathly anguish, from him flinging The wave that, like an idiot singing, Goes pirouetting through the gloom : A wretch enchanted, who, to flee A den of serpents, gropes about In desperation vain, without Discovering a match or key : A damned soul, who, with no lamp, Stands by a gulf, whose humid scent Betrays the depth of the descent Of endless stairs without a ramp, Where slimy monsters watch the track Whose eyeballs phosphoresce and glow Only to make the night more black And nought except themselves to show : A vessel that the pole betrays, Caught in a crystal trap all round, And seeking by what fatal sound It ever entered such a maze : – Clear emblems ! measuring the level Of irremediable dooms, Which make us see bow well the Devil Performs whatever he presumes ! II Strange tête-à-tête ! the heart, its own Mirror, its own confession hears ! Deep well where Truth is trembling shown And like a livid star appears, Ironic beacon and infernal Torch of satanic grace, but still Sole glory and relief eternal, – Conscience that operates in Ill ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |