007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
CV L’HÉAUTONTIMOROUMÉNOS À J. G. F. Je te frapperai sans colère Et sans haine, comme un boucher, Comme Moïse le rocher ! Et je ferai de ta paupière, Pour abreuver mon Sahara, Jaillir les eaux de la souffrance. Mon désir gonflé d’espérance Sur tes pleurs salés nagera Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon cœur qu’ils soûleront Tes chers sanglots retentiront Comme un tambour qui bat la charge ! Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grâce à la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord ? Elle est dans ma voix, la criarde ! C’est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde ! Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau ! Je suis de mon cœur le vampire, — Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire ! |
L’Héautontimorouménos À J.G.F. Je te frapperai sans colère Et sans haine, comme un boucher, Comme Moïse le rocher Et je ferai de ta paupière, Pour abreuver mon Saharah Jaillir les eaux de la souffrance. Mon désir gonflé d’espérance Sur tes pleurs salés nagera Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon coeur qu’ils soûleront Tes chers sanglots retentiront Comme un tambour qui bat la charge ! Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grâce à la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord Elle est dans ma voix, la criarde ! C’est tout mon sang ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde. Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau ! Je suis de mon coeur le vampire, – Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés Et qui ne peuvent plus sourire ! The Man Who Tortures Himself To J. G. F. I shall strike you without anger And without hate, like a butcher, As Moses struck the rock ! And from your eyelids I shall make The waters of suffering gush forth To inundate my Sahara. My desire swollen with hope Will float upon your salty tears Like a vessel which puts to sea, And in my heart that they’ll make drunk Your beloved sobs will resound Like a drum beating the charge ! Am I not a discord In the heavenly symphony, Thanks to voracious Irony Who shakes me and who bites me? She’s in my voice, the termagant ! All my blood is her black poison ! I am the sinister mirror In which the vixen looks. I am the wound and the dagger ! I am the blow and the cheek ! I am the members and the wheel, Victim and executioner ! I’m the vampire of my own heart – One of those utter derelicts Condemned to eternal laughter, But who can no longer smile ! – William Aggeler, 1954 Heautontimoroumenos To J. G. F. I’ll strike you, but without the least Anger – as butchers poll an ox, Or Moses, when he struck the rocks – That from your eyelid thus released, The lymph of suffering may brim To slake my desert of its drought. So my desire, by hope made stout, Upon your salty tears may swim, Like a proud ship, far out from shore. Within my heart, which they’ll confound With drunken joy, your sobs will sound Like drums that beat a charge in war. Am I not a faulty chord In all this symphony divine, Thanks to the irony malign That shakes and cuts me like a sword ? It’s in my voice, the raucous jade ! It’s in my blood’s black venom too ! I am the looking-glass, wherethrough Megera sees herself portrayed ! I am the wound, and yet the blade ! The smack, and yet the cheek that takes it ! The limb, and yet the wheel that breaks it, The torturer, and he who’s flayed ! One of the sort whom all revile, A Vampire, my own blood I quaff, Condemned to an eternal laugh Because I know not how to smile. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |