007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
CII

LE GOUFFRE

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
— Hélas ! tout est abîme, — action, désir, rêve,
Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l’espace affreux et captivant…
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;
Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l’insensibilité.
— Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !
 
Le Gouffre (1868)

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
– Hélas ! tout est abîme, – action, désir, rêve,
Parole ! Et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l’espace affreux et captivant...
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;
Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l’insensibilité.
– Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !




The Abyss

Pascal had his abyss that moved along with him.
– Alas ! all is abysmal, – action, desire, dream,
Word ! and over my hair which stands on end
I feel the wind of Fear pass frequently.
Above, below, on every side, the depth, the strand,
The silence, space, hideous and fascinating...
On the background of my nights God with clever hands
Sketches an unending nightmare of many forms.
I’m afraid of sleep as one is of a great hole
Full of obscure horrors, leading one knows not where ;
I see only infinite through every window,
And my spirit, haunted by vertigo, is jealous
Of the insensibility of nothingness.
– Ah! Never to go out from Numbers and Beings !
– William Aggeler, 1954


The Gulf

Wherever Pascal went, his gulf was spread,
All is abyss – dream, act, desire, or word !
And often by the wind of terror stirred
I’ve felt the hair shoot upright on my head.
High up, low down, all round, the depth descending,
The verge, the silence, the dread captor, Space.
Behind my nights I see God’s finger trace
A Nightmare multiform yet never-ending.
I dread my sleep like some enormous hole
Full of vague horror, leading to no goal.
All windows bare the infinite to me.
My soul, in its vertiginous endeavour,
Envies the senseless void – Ah, never never
From entities or numbers to be free !
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal