007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XCVII LE JET D’EAU Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! Reste longtemps sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t’a surprise le plaisir. Dans la cour le jet d’eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l’extase Où ce soir m’a plongé l’amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ainsi ton âme qu’incendie L’éclair brûlant des voluptés S’élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés. Puis, elle s’épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu’au fond de mon cœur. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ô toi, que la nuit rend si belle, Qu’il m’est doux, penché vers tes seins, D’écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins ! Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phœbé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. |
Le Jet d’eau (1868) Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! Reste longtemps, sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t’a surprise le plaisir. Dans la cour le jet d’eau qui jase, Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l’extase Où ce soir m’a plongé l’amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ainsi ton âme qu’incendie L’éclair brûlant des voluptés S’élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés. Puis elle s’épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu’au fond de mon coeur. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ô toi, que la nuit rend si belle, Qu’il m’est doux, penché vers tes seins, D’écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins ! Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. The Fountain My poor mistress ! your lovely eyes Are tired, leave them closed and keep For long the nonchalant pose In which pleasure surprised you, In the court the bubbling fountain That’s never silent night or day Sweetly sustains the ecstasy Into which love plunged me tonight. The sheaf unfolds into Countless flowers In which joyful Phoebe Puts her colors : It drops like a shower Of heavy tears. Thus your soul which is set ablaze By the burning flash of pleasure Springs heavenward, fearless and swift, Toward the boundless, enchanted skies. And then it overflows, dying In a wave of languid sadness That by an invisible slope Descends to the depths of my heart. The sheaf unfolds into Countless flowers In which joyful Phoebe Puts her colors : It drops like a shower Of heavy tears. Oh you whom the night makes so fair, How sweet, bending over your breast, To listen to the endless plaint Of the sobbing of the fountains ! Moon, singing water, blessed night, Trees that quiver round about us, Your innocent melancholy Is the mirror of my love. The sheaf unfolds into Countless flowers In which joyful Phoebe Puts her colors : It drops like a shower Of heavy tears. – William Aggeler, 1954 The Fountain My darling of a sweetheart, close, For a long time, your great, tired eyes, Keeping them in that languid pose Where pleasure took them by surprise. Out in the court the fountain chatters And does not cease by day or night. The swoon of ecstasy it flatters In which love plunges me tonight. Its sheaf uprears A myriad flowers, While Phoebe sheers Through pearl-flushed hours, To rain down tears In glittering showers. So does your flashing soul ignite In lightnings of voluptuous bliss And rushes reckless up the height As though the enchanted sky to kiss ; Then it relaxes, grows more fine, And in sad languor falls apart Down an invisible incline Into the deep well of my heart. Its sheaf uprears A myriad flowers, While Phoebe sheers Through pearl-flushed hours, To rain down tears In glittering showers. O you whom night so beautifies How sweet unto your breast to bend And hear the water as it sighs Into the ponds without an end Moon, singing water, blessed night And trees that tremble up above – Your melancholy charms my sprite And is the mirror of my love. Its sheaf uprears A myriad flowers, While Phoebe sheers Through pearl-flushed hours, To rain down tears In glittering showers. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |