007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LXXXVII LES MÉTAMORPHOSES DU VAMPIRE La femme cependant de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise, Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc, Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc : — « Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d’un lit l’antique conscience. Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants Et fais rire les vieux du rire des enfants. Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les étoiles ! Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés, Lorsque j’étouffe un homme en mes bras veloutés, Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste, Timide et libertine, et fragile et robuste, Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi Les Anges impuissants se damneraient pour moi ! » Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle, Et que languissamment je me tournai vers elle Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! Je fermai les deux yeux dans ma froide épouvante, Et, quand je les rouvris à la clarté vivante, À mes côtés, au lieu du mannequin puissant Qui semblait avoir fait provision de sang, Tremblaient confusément des débris de squelette, Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer, Que balance le vent pendant les nuits d’hiver. |
Les Métamorphoses du vampire (1857) Les Métamorphoses du vampire La femme cependant, de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise, Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc, Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc : – « Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d’un lit l’antique conscience. Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants, Et fais rire les vieux du rire des enfants. Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles, La lune, le soleil, le ciel et les étoiles ! Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés, Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés, Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste, Timide et libertine, et fragile et robuste, Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi, Les anges impuissants se damneraient pour moi ! » Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle, Et que languissamment je me tournai vers elle Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante, Et quand je les rouvris à la clarté vivante, À mes côtés, au lieu du mannequin puissant Qui semblait avoir fait provision de sang, Tremblaient confusément des débris de squelette, Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer, Que balance le vent pendant les nuits d’hiver. The Vampire’s Metamorphoses The woman meanwhile, twisting like a snake On hot coals and kneading her breasts against the steel Of her corset, from her mouth red as strawberries Let flow these words impregnated with musk : – “I, I have moist lips, and I know the art Of losing old Conscience in the depths of a bed. I dry all tears on my triumphant breasts And make old men laugh with the laughter of children. I replace, for him who sees me nude, without veils, The moon, the sun, the stars and the heavens ! I am, my dear scholar, so learned in pleasure That when I smother a man in my fearful arms, Or when, timid and licentious, frail and robust, I yield my bosom to biting kisses On those two soft cushions which swoon with emotion, The powerless angels would damn themselves for me!” When she had sucked out all the marrow from my bones And I languidly turned toward her To give back an amorous kiss, I saw no more Than a wine-skin with gluey sides, all full of pus ! Frozen with terror, I closed both my eyes, And when I opened them to the bright light, At my side, instead of the robust manikin Who seemed to have laid in a store of blood, There quivered confusedly a heap of old bones, Which of themselves gave forth the cry of a weather-cock Or of a sign on the end of an iron rod That the wind swings to and fro on a winter night. – William Aggeler, 1954 The Metamorphoses of the Vampire The crimson-fruited mouth that I desired – While, like a snake on coals, she twinged and twired, Kneading her breasts against her creaking busk – Let fall those words impregnated with musk, – “My lips are humid : by my learned science, All conscience, in my bed, becomes compliance. My breasts, triumphant, staunch all tears ; for me Old men, like little children, laugh with glee. For those who see me naked, I replace Sun, moon, the sky, and all the stars in space. I am so skilled, dear sage, in arts of pleasure, That, when with man my deadly arms I measure, Or to his teeth and kisses yield my bust, Timid yet lustful, fragile, yet robust, On sheets that swoon with passion – you might see Impotent angels damn themselves for me.” When of my marrow she had sucked each bone And, languishing, I turned with loving moan To kiss her in return, with overplus, She seemed a swollen wineskin, full of pus. I shut my eyes with horror at the sight, But when I opened them, in the clear light, I saw, instead of the great swollen doll That, bloated with my lifeblood, used to loll, The debris of a skeleton, assembling With shrill squawks of a weathercock, lie trembling, Or sounds, with which the howling winds commingle, Of an old Inn-sign on a rusty tringle. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |