007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LXXXII LE GOÛT DU NÉANT Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte. Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur ! Le Printemps adorable a perdu son odeur ! Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur, Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute ! Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ? |
Le Goût du néant (1861) Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte. Résigne-toi, mon coeur ; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur ! Le Printemps adorable a perdu son odeur ! Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; – Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute. Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ? The Desire for Annihilation Dejected soul, once anxious for the strife, Hope, whose spur fanned your ardor into flame, No longer wishes to mount you ! Lie down shamelessly, Old horse who stumbles over every rut. Resign yourself, my heart ; sleep your brutish sleep. Conquered, foundered spirit ! For you, old jade, Love has no more relish, no more than war ; Farewell then, songs of the brass and sighs of the flute ! Pleasure, tempt no more a dark, sullen heart ! Adorable spring has lost its fragrance ! And Time engulfs me minute by minute, As the immense snow a stiffening corpse ; I survey from above the roundness of the globe And I no longer seek there the shelter of a hut. Avalanche, will you sweep me along in your fall ? – William Aggeler, 1954 The Thirst for the Void My soul, you used to love the battle’s rumble. Hope, whose sharp spur once kindled you like flame, Will mount on you no more. Rest, without shame, Old charger, since at every step you stumble. Sleep now the sleep of brutes, proud heart : be humble. O broken raider, for your outworn mettle, Love has no joys, no fight is worth disputing. Farewell to all the trumpeting and fluting ! Pleasure, have done, when brooding shadows settle, The blooms of spring are vanquished by the nettle. As snows devour stiff corpses in their welter, Time wolfs my soul in, minute after minute. I’ve seen the world and everything that’s in it, And I no longer seek in it for shelter ; Come, Avalanche ! and sweep me helter-skelter. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |