007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
LXXXI

OBSESSION

Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos cœurs maudits,
Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ! Ce rire amer
De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes,
Je l’entends dans le rire énorme de la mer.

Comme tu me plairais, ô Nuit ! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu !
Car je cherche le vide, et le noir, et le nu !

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.
 
Obsession (1861)

Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amer
De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes,
Je l’entends dans le rire énorme de la mer

Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu !
Car je cherche le vide, et le noir, et le nu !

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.




Obsession

Great woods, you frighten me like cathedrals ;
You roar like the organ ; and in our cursed hearts,
Rooms of endless mourning where old death-rattles sound,
Respond the echoes of your De profundis.
I hate you, Ocean ! your bounding and your tumult,
My mind finds them within itself ; that bitter laugh
Of the vanquished man, full of sobs and insults,
I hear it in the immense laughter of the sea.
How I would like you, Night ! without those stars
Whose light speaks a language I know !
For I seek emptiness, darkness, and nudity !
But the darkness is itself a canvas
Upon which live, springing from my eyes by thousands,
Beings with understanding looks, who have vanished.
– William Aggeler, 1954


Obsession

You forests, like cathedrals, are my dread :
You roar like organs. Our curst hearts, like cells
Where death forever rattles on the bed,
Echo your de Profundis as it swells.
My spirit hates you, Ocean ! sees, and loathes
Its tumults in your own. Of men defeated
The bitter laugh, that’s full of sobs and oaths,
Is in your own tremendously repeated.
How you would please me, Night ! without your stars
Which speak a foreign dialect, that jars
On one who seeks the void, the black, the bare.
Yet even your darkest shade a canvas forms
Whereon my eye must multiply in swarms
Familiar looks of shapes no longer there.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal