007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LXXX SPLEEN Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l’Espérance, comme une chauve-souris, S’en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D’une vaste prison imite les barreaux, Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrément. — Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. |
Spleen Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle II nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l’Espérance, comme une chauve-souris, S’en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D’une vaste prison imite les barreaux, Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. – Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Spleen When the low, heavy sky weighs like a lid On the groaning spirit, victim of long ennui, And from the all-encircling horizon Spreads over us a day gloomier than the night ; When the earth is changed into a humid dungeon, In which Hope like a bat Goes beating the walls with her timid wings And knocking her head against the rotten ceiling ; When the rain stretching out its endless train Imitates the bars of a vast prison And a silent horde of loathsome spiders Comes to spin their webs in the depths of our brains, All at once the bells leap with rage And hurl a frightful roar at heaven, Even as wandering spirits with no country Burst into a stubborn, whimpering cry. – And without drums or music, long hearses Pass by slowly in my soul ; Hope, vanquished, Weeps, and atrocious, despotic Anguish On my bowed skull plants her black flag. – William Aggeler, 1954 Spleen When the cold heavy sky weighs like a lid On spirits whom eternal boredom grips, And the wide ring of the horizon’s hid In daytime darker than the night’s eclipse : When the world seems a dungeon, damp and small, Where hope flies like a bat, in circles reeling, Beating his timid wings against the wall And dashing out his brains against the ceiling : When trawling rains have made their steel-grey fibres Look like the grilles of some tremendous jail, And a whole nation of disgusting spiders Over our brains their dusty cobwebs trail : Suddenly bells are fiercely clanged about And hurl a fearsome howl into the sky Like spirits from their country hunted out Who’ve nothing else to do but shriek and cry – Then long processions without fifes or drums Wind slowly through my soul. Hope, weeping, bows To conquest. And atrocious Anguish comes To plant his black flag on my drooping brows. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |