007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
LXXIX

SPLEEN

Je suis comme le roi d’un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très-vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S’ennuie avec ses chiens comme avec d’autres bêtes.
Rien ne peut l’égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d’atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d’impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l’or n’a jamais pu
De son être extirper l’élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
Il n’a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l’eau verte du Léthé.
 
Spleen

Je suis comme le roi d’un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S’ennuie avec ses chiens comme avec d’autres bêtes.
Rien ne peut l’égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d’atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d’impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l’or n’a jamais pu
De son être extirper l’élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
II n’a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l’eau verte du Léthé




Spleen

I am like the king of a rainy land,
Wealthy but powerless, both young and very old,
Who contemns the fawning manners of his tutors
And is bored with his dogs and other animals.
Nothing can cheer him, neither the chase nor falcons,
Nor his people dying before his balcony.
The ludicrous ballads of his favorite clown
No longer smooth the brow of this cruel invalid ;
His bed, adorned with fleurs-de-lis, becomes a grave ;
The lady’s maids, to whom every prince is handsome,
No longer can find gowns shameless enough
To wring a smile from this young skeleton.
The alchemist who makes his gold was never able
To extract from him the tainted element,
And in those baths of blood come down from Roman times,
And which in their old age the powerful recall,
He failed to warm this dazed cadaver in whose veins
Flows the green water of Lethe in place of blood.
– William Aggeler, 1954


Spleen

I’m like the King of some damp, rainy clime,
Grown impotent and old before my time,
Who scorns the bows and scrapings of his teachers
And bores himself with hounds and all such creatures.
Naught can amuse him, falcon, steed, or chase :
No, not the mortal plight of his whole race
Dying before his balcony. The tune,
Sung to this tyrant by his pet buffoon,
Irks him. His couch seems far more like a grave.
Even the girls, for whom all kings seem brave,
Can think no toilet up, nor shameless rig,
To draw a smirk from this funereal prig.
The sage who makes him gold, could never find
The baser element that rots his mind.
Even those blood-baths the old Romans knew
And later thugs have imitated too,
Can’t warm this skeleton to deeds of slaughter,
Whose only blood is Lethe’s cold, green water.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal